Section 3.8 : Exemples de cas
[ Table des matières ]Sumit R. Majumdar
Département de médecine, Université de l'Alberta
Edmonton (Alberta), Canada
Introduction
- Présentation de trois exemples de cas d'études rigoureuses et concluantes relatives à l'application des connaissance à la pratique qui :
- portent sur un problème courant d'importance clinique;
- évaluent des interventions bien conçues;
- ont des échantillons de taille adéquate;
- utilisent des plans d'analyse raisonnables et stables (sans erreurs d'unités d'analyse);
- livrent des résultats valides;
- ont été publiés dans des journaux médicaux grand public d'influence.
Présentation
Chaque exemple de cas comprend :
- un résumé des principaux éléments et résultats de l'essai;
- une courte discussion sur les principales forces et limites de l'étude;
- des conclusions à retenir;
- un hyperlien vers l'article original.
Cas no 1
Utilisation de la rétroaction sur le rendement d'un médecin en particulier et d'objectifs réalisables pour améliorer la qualité des soins primaires
Contexte
- Les patients reçoivent environ la moitié des soins primaires recommandés fondés sur des données probantes auxquels ils sont admissibles.
- Les médecins reçoivent actuellement beaucoup d'évaluation et de rétroaction sur leur travail.
- On ne comprend pas bien si de tels efforts sont justifiés.
Question
- Au-delà des mesures habituelles d'amélioration de la qualité comme la rétroaction à chaque médecin, est-ce que la présentation de données sur les « objectifs réalisables » pourrait permettre d'améliorer les résultats pour les
Intervention
- La plupart des données repères représentent un rendement moyen ou médian ou une valeur réalisable, déterminés par consensus.
- Les objectifs réalisables représentent le rendement moyen de 10 % des meilleurs médecins évalués dans le même contexte local.
Conception de l'étude
- Groupe d'essais cliniques comparatifs aléatoires avec constatation sélective des résultats, comparant les mesures habituelles d'amélioration de la qualité en plus de l'évaluation et la rétroaction habituelles (48 médecins, 965 patients)par opposition à…
- Réception de données sur les objectifs réalisables (49 médecins, 966 patients) dans un État des États-Unis.
Objectifs
- Changements dans le processus de soins avant et après l'intervention parmi les patients admissibles atteints de diabète, plus précisément des changements relatifs :
- à la vaccination contre la grippe
- à l'examen des pieds
- aux mesures en laboratoire du taux d'A1c
- au cholestérol
- aux triglycérides
Résultats
- Les objectifs réalisables étaient :
- 82 % pour la vaccination contre la grippe
- 86 % pour l'examen des pieds
- 97 % pour l'A1c
- 99 % pour le cholestérol
- 98 % pour les triglycérides
- Comparativement aux groupes témoins, les données sur les objectifs réalisables indiquent :
- une augmentation de 12 % de la vaccination contre la grippe (p < 0.001)
- une augmentation de 2 % de l'examen des pieds (p = 0.02)
- une augmentation de 4 % des mesures de l'A1c (p = 0.02)
- aucune amélioration de la mesure de deux lipides
Discussion
- Sur le plan de la validation du principe, cet essai rigoureux d'application des connaissances a permis de démontrer que de fournir à chaque médecin les données les concernant et une comparaison de ce que d'autres professionnels au rendement exceptionnel du même milieu sont capables de réaliser peut permettre d'améliorer la qualité des soins primaires.
- Une des forces majeures de l'étude consistait en l'examen de multiples processus de soins.
- Il faut souligner que les améliorations s'appliquant à deux mesures sont faibles (2 - 4 %) et que deux mesures n'ont aucunement été améliorées.
Limites
Cette étude présente deux limites importantes.
- Les améliorations étaient uniquement associées aux processus de soins –
- on ne sait pas si les résultats cliniques ont été améliorés ou s'il y a eu des conséquences inattendues (donc non mesurées) à la suite de l'intervention.
- Les chercheurs n'ont pas (a priori) défini en quoi consiste une amélioration importante ou valable sur le plan clinique (même si une augmentation de 12 % de la vaccination contre la grippe est valable sur le plan clinique, est-ce qu'une augmentation de 2 % de l'examen des pieds est aussi valable?).
Conclusions à retenir
- Les objectifs réalisables peuvent constituer un ajout important au suivi et à la rétroaction habituels.
- La reprise de l'étude et une compréhension approfondie de la raison pour laquelle cela ne fut pas plus (ni plus uniformément) efficace sont préconisées.
Référence : Favoriser l'amélioration de la qualité au moyen d'objectifs réalisables en matière de rétroaction au médecin (anglais seulement)
Cas no 2
Utilisation du soutien aux décisions cliniques au moyen d'invites électroniques pour accroître la thromboprophylaxie et diminuer la thrombose veineuse chez les patients hospitalisés
Contexte
- Même si la thrombose veineuse profonde et l'embolie pulmonaire (TVP/EP) sont des complications hospitalières courantes et en grande partie évitables, les mesures de thromboprophylaxie peu coûteuses et fondées sur des données probantes sont universellement sous-utilisées.
- Il y a déjà eu de nombreuses tentatives de prophylaxie de la TVP/EP.
Question
Est-ce qu'un système automatisé de soutien à la prise de décisions cliniques assorti d'invites aux médecins permettra d'améliorer la qualité des soins et de diminuer le taux de thrombose et d'embolie?
Intervention
- Un système informatisé de soutien à la prise de décisions utilisant divers algorithmes prédéfinis pour identifier les patients à risque élevé en fonction des facteurs de risque clinique permettait de déterminer s'ils devaient recevoir une certaine forme de thromboprophylaxie et invitait, en temps réel, les fournisseurs à prescrire une thromboprophylaxie si cela n'avait pas été fait.
- Les invites n'étaient pas « passives » – elles étaient affichées sur l'écran de saisie de prescription du médecin, qui devait accepter l'invite et ensuite prescrire le délai de la prophylaxie ou la prestation d'une certaine forme de prophylaxie; une contrainte était donc présente.
Conception de l'étude
- Essai clinique comparatif quasi aléatoire (répartition d'après le nombre pair ou impair des numéros de dossiers médicaux), comparant les soins courants (1251 patients) par opposition à un système informatisé de soutien à la prise de décisions avec invites en temps réel (1255 patients) dans un hôpital des États-Unis.
Objectifs
- Taux de prophylaxie de la thrombose et de l'embolie parmi les patients potentiellement admissibles.
- Taux de diagnostic clinique de la TVP/EP dans les 90 jours suivant l'hospitalisation (résultat principal de l'étude).
Résultats
- Les résultats de départ de la prophylaxie étaient d'environ 85 %.
- De tous les patients jugés admissibles à la prophylaxie de la TVP/EP mais qui ne la recevaient pas, 15 % des témoins, comparativement à 34 % des patients visés par l'intervention, ont été traités adéquatement (amélioration de 19 %, p < 0.001).
- Dans l'ensemble, 8 % des patients témoins, comparativement à 5 % des patients visés par l'intervention, ont reçu un diagnostic clinique de TVP ou d'EP dans les 90 jours suivant leur hospitalisation (diminution de 3 % des événements cliniques, p < 0.001).
- À titre de mesure de la sûreté, les taux de décès, de réhospitalisation et de saignements étaient similaires dans les deux groupes d'étude.
Discussion
- Cette étude visait à déceler les différences dans les résultats importants sur le plan clinique, plutôt qu'à restreindre l'observation aux processus de soins.
- Dans ce secteur clinique particulier, il s'agit de la première étude qui démontre que l'amélioration des processus de soins sont étroitement liés aux résultats, ce qui laisse présumer que cette amélioration est une mesure substitutive raisonnable de la qualité.
- Même si les chercheurs ont déterminé que tous les patients de l'étude étaient suffisamment à risque pour justifier une prophylaxie, deux tiers des patients visés par l'intervention (et 85 % des patients témoins) n'ont pas reçu de soins conformes aux directives.
- Ce résultat implique que, soit il existe une incertitude plus grande dans la littérature sur la thromboprophylaxie que les chercheurs le reconnaissent, soit l'outil de soutien à la prise de décisions a lui-même besoin d'être perfectionné.
Limites
- Le système d'algorithme et de pointage servant à définir le « risque élevé » n'a pas été validé au préalable et n'était pas utilisé couramment.
- Contrairement aux déclarations des auteurs, il ne s'agissait pas d'un essai aléatoire, mais plutôt d'une étude quasi aléatoire, et il est possible que les évaluateurs des résultats n'aient pas respecté le code de répartition et aient été influencés dans leurs constatations.
- Une seule invite a fait l'objet de l'étude et a fonctionné, mais à quel moment les fournisseurs commenceront-ils à ressentir un « ennui » par rapport aux nombreuses invites de rappel bien intentionnées qui les empêcheront de soigner rapidement et efficacement leurs patients?
Conclusions à retenir
- Une des peu nombreuses démonstrations évidentes qu'une application des connaissances peut améliorer les mesures (substitutives) de processus de soins et aussi provoquer d'importants changements dans les événements cliniques qui reflètent directement la façon dont les patients se sentent, fonctionnent ou survivent.
- La reprise de l'étude avec des invites différentes et des rappels simultanés multiples est préconisée.
- Une meilleure explication de la raison pour laquelle cette intervention particulière (pratiquée dans un des quatre établissements américains de référence en ce qui concerne l'application et l'étude de la technologie de l'information sur la santé) n'était pas plus efficace que d'après les observations est nécessaire.
Référence : Alertes électroniques pour prévenir les thromboembolies veineuses chez les patients hospitalisés (anglais seulement)
Cas no 3
Recours à une intervention multidimensionnelle visant les patients et les médecins pour diminuer l'utilisation d'antibiotiques contre la bronchite aiguë
Contexte
- Presque tous les cas de bronchite aiguë traités en clinique externe sont provoqués par un virus.
- Malgré la diffusion répandue de directives fondées sur des données probantes, la majorité des patients se font encore administrer des antibiotiques entraînant des effets indésirables, une augmentation de la résistance aux antibiotiques dans le milieu et des coûts excessifs.
- L'utilisation d'antibiotiques dans ce milieu doit être freinée avec soin, mais la plupart des tentatives n'ont pas permis de changer les pratiques.
Question
Les interventions visant les patients et/ou leur médecin permettront-elles de réduire le taux d'utilisation d'antibiotiques chez les patients atteints d'une maladie virale comme une bronchite aiguë?
Interventions
- Intervention majeure (matériel éducatif pour la maison et le bureau à l'intention des patients, vérification et rétroaction, formation continue en pharmacothérapie pour les médecins).
- Intervention mineure (matériel éducatif pour le bureau seulement), comparativement à des soins courants dans une organisation de soins de santé intégrés en groupe.
Conception de l'étude
- Étude non aléatoire avant-après avec des groupes témoins simultanés
- Site d'intervention majeure (34 978 patients et 28 fournisseurs)
- Site d'intervention mineure (36 404 patients et 31 fournisseurs) Deux sites de soins courants (46 767 patients et 34 fournisseurs).
Objectifs
Objectif primaire
- Taux de prescription d'antibiotiques contre la bronchite aiguë
Objectifs secondaires
- Taux de prescription d'antibiotiques des situations témoins (autres infections des voies respiratoires supérieures et sinusite aiguë)
- Conséquences inattendues (utilisation de traitements non antibiotiques et visites de suivi)
Résultats
- Avant les interventions, le taux de prescription d'antibiotiques contre la bronchite aiguë était d'environ 80 %.
- Outre les changements dans les pratiques des sites témoins de soins courants, l'intervention majeure a entraîné une réduction absolue de 24 % de l'utilisation d'antibiotiques (p = 0.003), tandis que l'intervention mineure a entraîné une réduction de 3 % (p = 0.68).
- Le taux d'utilisation d'antibiotiques des situations témoins, l'utilisation de traitements non antibiotiques et le nombre de visites étaient similaires dans les trois volets, ce qui laisse supposer que les interventions étaient sécuritaires et n'ont pas entraîné de conséquences inattendues.
Discussion
- Tout en reconnaissant que la conception de l'étude est valide quoique non aléatoire, l'ampleur de l'effet constaté est le plus important de ceux qui ont été documentés au sujet de la réduction du recours aux antibiotiques dans le milieu des soins primaires.
- Les chercheurs ont clairement démontré que tous les sites de l'étude étaient comparables avant l'intervention et qu'il n'y a eu aucune conséquence inattendue (p. ex. des fournisseurs qui diagnostiquent une infection des voies respiratoires supérieures ou une pneumonie et qui prescrivent des antibiotiques pour « déjouer » le système).
- Il ne semble y avoir aucune différence dans l'utilisation en aval des ressources en santé dans l'ensemble des sites.
Limites
- Même si deux types d'intervention ont été mis à l'essai, il ne s'agissait pas d'un essai factoriel.
- L'intervention majeure était efficace, mais il est impossible de savoir si c'est l'élément médecin ou patient, ou une combinaison des deux qui a médié l'effet de l'étude.
- Cela a des répercussions sur les ressources en ce qui concerne la poursuite de l'intervention et l'utilisation d'interventions similaires dans d'autres situations où il y a probablement une surutilisation d'antibiotiques.
- Il s'agissait d'une intervention ponctuelle.
- Cette étude ne permet pas de répondre à l'importante question de savoir si les patients, les fournisseurs et le système « apprennent » et continuent de s'améliorer, ou reprennent simplement leurs pratiques habituelles après la réalisation de l'étude.
Conclusions à retenir
- Les interventions multidimensionnelles visant les patients et leur médecin peuvent faire diminuer l'utilisation inutile d'antibiotiques.
- Les méthodes peuvent probablement s'élargir à d'autres situations associées à une surutilisation et qui peuvent dépendre des exigences des patients.
- Des études sur l'importance relative (et le rapport coût-efficacité) des éléments de l'intervention sont préconisées.
Référence : Diminuer l'utilisation d'antibiotiques en pratique ambulatoire (anglais seulement)
Futures recherches
Ces exemples de cas illustrent trois problèmes courants de la recherche sur l'application des connaissances qui doivent être réglés :
- Les chercheurs mettent souvent à l'essai des interventions multidimensionnelles (ou à éléments multiples).
- Si l'intervention fonctionne, ceux qui veulent la mettre en application dans leur milieu doivent utiliser tous les éléments de l'intervention.
- Les chercheurs de l'application des connaissances doivent réaliser plus d'essais à trois ou quatre volets ou d'essais factoriels officiels pour déterminer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
- D'après le nombre d'interventions qui ne fonctionnent pas et dans quelle mesure il y a des améliorations à long terme de la qualité, il faudrait qu'un certain type de soins courants soit considéré comme la situation témoin la plus adéquate pour la plupart des essais (afin de savoir quels éléments sont « obligatoires » et lesquels sont « facultatifs » ).
- Des données quantitatives (p. ex. sondages auprès des utilisateurs) et des études qualitatives peuvent nous aider à mieux comprendre la façon dont fonctionnent les éléments de l'ensemble de l'intervention.
- Les chercheurs fournissent rarement suffisamment d'information pour que les autres puissent reproduire leur travail.
- La possibilité de reproduction est un aspect important de la science de l'application des connaissances.
- Des détails manquent souvent, notamment à cause des limites de nombre des mots des journaux. En effectuant un survol des examens systématiques publiés dans le ACP Journal Club et le Evidence-Based Medicine Journal, Glasziou et Shepperd ont constaté que moins de 15 % des rapports contenaient suffisamment d'information sur l'intervention pour permettre aux cliniciens ou aux décideurs de la mettre en oeuvre.
- La publication libre-accès des méthodes détaillées dans des revues et des journaux comme Implementation Science est maintenant plus facile que jamais, et de nombreux journaux permettent de publier avec leurs articles des liens Web et des annexes électroniques sans restriction.
- Les chercheurs décrivent rarement en quoi consisterait une différence suffisamment valable sur le plan clinique pour justifier d'adopter l'intervention si celle-ci fonctionne.
- Les études s'élargissant, il sera plus facile de détecter les améliorations mineures et sans importance sur le plan clinique mais statistiquement significatives quant à la qualité des soins.
- Il est important de définir (préférablement avant le début de l'étude) en quoi consiste une amélioration valable (plus importante) par rapport à en quoi consiste un effet statistiquement détectable (moins important).
- Il faudrait définir ce que le milieu de pratique ou l'organisation sont disposés à payer pour obtenir une certaine amélioration.
- Malheureusement, rares sont les analyses sanito-économiques officielles entreprises en même temps que la plupart des interventions d'application des connaissances.
En bref
- Chacun de ces cas concluants d'application des connaissances contribuera de façon importante à la littérature.
- Chaque cas montre à quel point les problèmes cliniques peuvent être différents, à quel point les interventions peuvent devoir être complexes et à quel point une mise en oeuvre et une évaluation seront difficiles.
- Ensemble, les chercheurs ont surmonté de nombreux problèmes endémiques sur le terrain.
- Ces cas sont des exemples d'avant-garde de recherche rigoureuse sur l'application des connaissances.
- Ils montrent jusqu'où le domaine s'est élargi depuis vingt ans et aussi l'ampleur du travail nécessaire dans ce domaine scientifique relativement récent.
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