Section 3.5.1 Choisir, adapter et mettre en oeuvre des interventions d'application des connaissances
Michael Wensing, Marije Bosh et Richard GrolInstitut scientifique pour la qualité des soins de santé, Centre médical de l'Université Radboud de Nimègue, Nimègue, Pays-Bas
Insuffisance cardiaque chronique
- On constate souvent des différences majeures entre les méthodes de traitement.
- L'utilisation des bêta-bloquants dans le cadre des soins de première ligne varie de 10 à 50 % d'un pays à l'autre.
- L'utilisation des inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (IECA) varie de 50 à 75 %.
- Les différences entre les recommandations prévues dans les lignes directrices de chaque pays ne suffisent pas à expliquer une telle variation.
- La comorbidité peut expliquer en partie la variation, mais 14 % des prescriptions sont faites en fonction des caractéristiques du patient, et non des données probantes.
- Selon une étude sur les obstacles qui nuisent à la conformité aux lignes directrices en matière d'insuffisance cardiaque :
- Les médecins ont de la difficulté à modifier un traitement initié par un cardiologue.
- Il est difficile de doser les IECA.
- Le fait de prescrire des IECA à un patient qui prend déjà un diurétique ou dont l'état est stable avec la médication utilisée est perçu comme un obstacle.
- Ainsi, comment améliorer les soins de première ligne pour l'insuffisance cardiaque chronique et quelles interventions doit-on choisir?
Interventions facilitant l'application des recherches
- Former les médecins?
- Faire appel aux leaders d'opinion pour influencer les habitudes de prescription des cardiologues?
- Fournir des stimulants financiers aux médecins pour chaque patient traité selon les lignes directrices?
- Informer les patients et leur famille sur les traitements adéquats de l'insuffisance cardiaque?
Comment choisir l'intervention adéquate?
- L'intervention doit être choisie pour son efficacité et son efficience, confirmées par des données probantes issues de la recherche.
- De nombreuses interventions d'AC n'ont pas été évaluées dans le cadre d'études rigoureuses.
- Les données probantes actuelles laissent entendre que les interventions ont une incidence variable et un effet modéré.
- L'intervenant ne peut fonder son choix d'intervention sur les données probantes actuelles issues de la recherche.
- Choisir ou concevoir une intervention d'AC est une « science » , mais aussi un « art » .
Interventions professionnelles
- Les données probantes actuelles portent principalement sur les interventions professionnelles (programmes d'éducation, rétroaction et rappels).
- La qualité de la méthodologie est variable, mais acceptable dans l'ensemble.
- De manière générale, un changement absolu dans le rendement professionnel n'est visible que dans 10 % des cas.
- De tels changements peuvent être pertinents sur le plan clinique ou économique.
Interventions éducatives passives et actives
- Utilisées seules, les interventions passives (lignes directrices écrites, conférences et colloques) risquent de ne pas influencer le comportement professionnel.
- Les interventions actives (visites d'un délégué médical, cercles professionnels, etc.) sont plus à même de provoquer des changements.
- Les documents d'autoformation et les sites Web peuvent être efficaces.
Autres interventions
- Les interventions qui donnent des renseignements juste avant la prise de décision (rappels, aide à la décision) peuvent s'avérer efficaces.
- Les interventions dirigées vers les patients (questionnaires sur la préconsultation ou aide à la décision) peuvent aider à améliorer la qualité des soins, mais il est difficile d'en connaître les effets réels sur la qualité des soins.
- Les interventions organisationnelles (révision des rôles professionnels et équipes multidisciplinaires) peuvent influencer les résultats et l'efficience cliniques; les répercussions sur l'AC sont incertaines, mais on constate une augmentation de l'efficience et de la satisfaction des patients.
- Les interventions financières influencent l'utilisation des soins de santé; les effets sur la justesse des décisions cliniques et les habitudes pratiques sont incertains.
L'art de choisir une intervention d'AC
- Utiliser une approche structurée pour communiquer avec les professionnels, les patients, les équipes, les organisations ou d'autres intervenants.
- Utiliser différentes stratégies, notamment la cartographie des interventions, le marketing, le modèle precede/proceed, le cycle de la qualité, la gestion du changement, le développement organisationnel ou communautaire et l'évaluation des technologies de la santé.
- Il est difficile de déterminer si les approches structurées améliorent l'utilisation des connaissances.
- Les modèles de planification de changements proposent pratiquement tous les mêmes étapes, mais leur nombre varie.
Quels sont les objectifs de l'AC?
- Les objectifs devraient être établis en fonction des résultats désirés pour les patients, les populations et la société.
- De nombreux objectifs d'AC ont été définis en réponse à des changements particuliers apportés aux traitements ou à d'autres aspects de la prestation de soins de santé.
- On s'attend à ce que les changements mènent à de meilleurs résultats.
- Les données probantes issues de la recherche permettant de justifier ces attentes sont souvent inexistantes.
- Plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour déterminer les objectifs, notamment la méthode Delphi (Linestone et Turoff,1975).
Quels indicateurs utiliser pour mesurer la mise en oeuvre?
- Les objectifs doivent être définis sous forme d'indicateurs précis pour mesurer le niveau de mise en oeuvre.
- Les indicateurs doivent permettre d'établir des mesures claires (soutien des principaux intervenants et haut niveau de faisabilité).
- Actuellement, la pratique exemplaire consiste à utiliser la méthode Delphi avec des groupes d'intervenants, qui vérifient les données probantes existantes et font la mise à l'essai dans les milieux de pratique réels.
- Il convient d'utiliser les recherches sur les variations dans la pratique et les outils de contrôle de la qualité (vérification des dossiers, sondages auprès des patients, observations vidéo et analyse secondaire des données de routine).
Quels sont les obstacles au changement?
- Analyser les obstacles au changement pour chacun des objectifs choisis :
- obstacles au changement soulignés par les professionnels, les patients et d'autres intervenants (entrevues, questionnaires et méthodes de groupe);
- variation des soins d'un patient à l'autre (vaste ensemble de données d'observation et méthodes statistiques);
- déterminants de l'efficacité des interventions d'AC (ensemble de données longitudinales et méthodes quantitatives avancées).
Comment lier les interventions d'AC et ces obstacles?
- Une fois les objectifs définis et les obstacles cernés, la prochaine étape consiste à établir des liens entre des interventions d'AC précises et les obstacles.
- Étape la plus créative dans la conception des programmes d'AC.
- Possibilité d'utiliser autant les méthodes exploratoires que les méthodes inspirées de la théorie.
- Les méthodes exploratoires tentent d'éviter les hypothèses implicites – faire preuve d'ouverture d'esprit – et font souvent appel à des séances de remue-méninges en groupe (en personne ou par Internet) afin de trouver des solutions.
- Utiliser la théorie pour comprendre les facteurs qui déterminent la variation et le changement des pratiques. Les décisions peuvent également être prises en groupe.
- Les prochaines diapositives font le lien entre les interventions d'AC et certains facteurs tirés de la théorie.
Facteurs cognitifs – Comportement relatif à l'information
Objectif/cible |
Obstacles au changement | Théorie | Exemples d'intervention d'AC |
---|---|---|---|
1. Facteurs cognitifs | |||
Comportement relatif à l'information | Style d'apprentissage, conceptions relatives à l'apprentissage, comportement axé sur l'innovation, utilisation des canaux de communication | Théorie cognitive de l'apprentissage (Norman 2002) | Utiliser différentes méthodes de diffusion de l'information ou les adapter aux besoins de chacun. |
Connaissance du domaine | Connaissance du domaine, connaissances professionnelles, complexité de l'innovation, intelligence, compétences cognitives | Théorie cognitive de l'apprentissage (Norman 2002) | Modifier la combinaison de compétences professionnelles dans l'organisation. |
2. Facteurs de motivation | |||
Motivation | Fixation d'objectifs, étapes du changement, persuasion |
Théorie de la motivation à apprendre (Newman & Peile 2002) Théorie des étapes du changement (Prochaska & Velicer 1997) Théorie des caractéristiques de l'adopteur (Rogers 1995) |
Fournir des renseignements, exercer une influence sociale, planifier les mesures en fonction des besoins. |
Perception des conséquences | Attentes relatives aux résultats, attributions de comportement, incidence, centralité, durée de l'innovation | Théorie sociocognitive (Bandura 1986) Théorie sur les caractéristiques de l'innovation (Rogers 1995) |
Offrir de la formation et présenter une rétroaction, adapter l'innovation pour améliorer les conséquences. |
Attitudes | Attitudes, utilité, avantages, coûts, risques de l'innovation |
Théorie du comportement planifié (Ajzen 1991) | Fournir de la formation sur les conséquences. |
Perception des normes subjectives | Perceptions des autres comportements, rôle social et professionnel, compatibilité, visibilité de l'innovation, comparaison sociale | Théorie du comportement planifié (Ajzen 1991) | Miser sur l'influence sociale |
Perception des capacités | Perception de la maîtrise du comportement, confiance en soi | Théorie sociocognitive (Bandura 1986) Théorie du comportement planifié (Ajzen 1991) |
Offrir une formation spécialisée. |
Émotions | Satisfaction par rapport au rendement, attrait de l'innovation |
Théorie de la motivation à apprendre (Newman & Peile 2002) | Fournir une rétroaction, offrir de la formation et des conseils pour changer les normes de chacun. |
3. Facteurs comportementaux | |||
Contrôle des comportements | Comportements adaptés, apprentissage par observation, voie centrale ou périphérique | Théorie sociocognitive (Bandura 1986) Théorie de l'adaptation (Lazarus & Folkman 1984) |
Fournir une rétroaction et des rappels pour favoriser l'autocontrôle, offrir de la formation et des conseils pour changer les normes de chacun. |
Aptitudes | Compétence, capacité comportementale, flexibilité, divisibilité, possibilité de tester l'innovation |
Théorie cognitive de l'apprentissage (Norman 2002) |
Fournir de la formation afin d'améliorer les compétences, utiliser les systèmes d'aide à la décision. |
4. Interaction dans les équipes professionnelles |
|||
Processus cognitifs de groupe | Objectifs, vision de groupe, orientation sur la tâche, normes du groupe | Théorie sur l'efficacité des équipes (DeDreu & Weingart 2003) Théorie des décisions collectives (Turner & Pratkanis 1998) |
Modifier la composition de l'équipe ou les processus décisionnels. |
Processus des groupes |
Composition du groupe, sûreté de la participation | Théorie sur l'efficacité des équipes (De Dreu & Weingart 2003) Théorie des décisions collectives (Turner & Pratkanis 1998) |
Offrir de la formation afin de changer les processus d'un groupe. |
5. Structure des réseaux professionnels |
|||
Leadership et personnes clés | Agents de changement, leaders d'opinion, source du message |
Théorie de la persuasion (Petty, Wegener & Fabrigar 1997) Théorie du leadership (Yukl 1998) |
Reconnaître et faire participer les leaders officiels et informels. |
Caractéristiques des réseaux sociaux | Portée, densité, multiplexité, liens ténus, etc. | Théorie du soutien social (Hogan, Linden & Najarian 2002) Théorie de la comparaison sociale (Suls, Martin & Wheeler 2002) Théorie de la diffusion des innovations (Rogers 1995) |
Faire participer les agents de changement au transfert de l'information, développer les réseaux pour créer plus de liens « ténus » . |
6. Structures organisationnelles | |||
Spécifications | Protocoles cliniques, analyse comparative, points de vue sur les systèmes | Systèmes de gestion des maladies (Hunter 2000) Théorie de l'innovation dans les organisations (Damanpour 1991) |
Mettre en oeuvre l'intégration des systèmes de soins de santé (p. ex. : modèle de traitement des maladies chroniques). |
Flexibilité | Flexibilité du système de prestation, spécification minimale, officialisation, fragmentation, variété des opérations | Systèmes adaptatifs complexes (Plesk & Greenhalgh 2001) Théorie de l'innovation dans les organisations (Damanpour 1991) |
Restructurer certains services de l'organisation. |
Structure de leadership | Maintien des objectifs, gestion à différentes étapes, centralisation, attitudes/mandat de gestion, intensité de l'administration | Théorie de la gestion de la qualité (Prajogo & Sohal 2001) Théorie de l'innovation dans les organisations (Damanpour 1991) |
Recruter et former un type de leader précis. |
Spécialisation | Différenciation, professionnalisme |
Théorie de l'innovation dans les organisations (Damanpour 1991) | Modifier la combinaison de compétences professionnelles dans l'organisation. |
7. Processus organisationnels | |||
Amélioration continue | Formation des professionnels, programmes de développement des talents, accent sur les processus, formation continue, importance de l'évaluation, attitude en faveur de l'expérimentation | Théorie de la gestion de la qualité (Prajogo & Sohal 2001) Théorie de l'apprentissage organisationnel (Senge 1990) |
Créer des équipes chargées de l'amélioration. |
Communication externe | Orientation vers la clientèle, réactivité, analyse obligatoire, complexité, influence externe, fournisseurs sont des partenaires | Théorie de la gestion de la qualité (Prajogo & Sohal 2001) Théorie de l'innovation dans les organisations (Damanpour 1991) |
Prendre des mesures pour favoriser la satisfaction des patients. |
Communication interne | Climat d'ouverture, productivité des relations, participation de professionnels non issus du domaine médical, orientation vers les employés, esprit de coopération, nombreux défenseurs, propriété, diversité culturelle, participation du groupe cible. Climat d'ouverture, productivité des relations, participation de professionnels non issus du domaine médical, orientation vers les employés, esprit de coopération, nombreux défenseurs, propriété, diversité culturelle, participation du groupe cible. |
Théorie de la gestion de la qualité (Prajogo & Sohal 2001) Théorie de l'innovation dans les organisations (Damanpour 1991) Théorie de l'apprentissage organisationnel (Senge 1990) Théorie de la gestion des connaissances (Garavelli, Gorgoglione & Scozzi 2002) Théorie de la culture organisationnelle (Scott, Mannion, Davies & Marshall 2003) |
Prendre des mesures visant la satisfaction des prestataires, utiliser les TIC pour transférer l'information. |
8. Ressources organisationnelles | |||
Connaissances techniques | Base de compétences, intelligence organisationnelle, créativité, systèmes d'information sur les connaissances | Théorie de l'innovation dans les organisations (Damanpour 1991) | Modifier la combinaison de compétences professionnelles dans l'organisation. |
Taille de l'organisation | Taille des équipes | Théorie de l'innovation dans les organisations (Damanpour 1991) | Fusionner ou diviser les organisations ou les départements. |
9. Facteurs sociétaux | |||
Perfectionnement professionnel | Éducation et protection juridique liées à l'ensemble des connaissances | Théorie du perfectionnement professionnel (Freidson 1970) | Revoir les rôles professionnels. |
Priorité dans les enjeux de société |
Relations publiques, action politique | Théorie de l'agenda building [établissement des mesures prioritaires] (Walters, Walters & Gray 1996) |
Prendre des mesures visant à influencer les responsables des politiques. |
10. Stimulants financiers | |||
Stimulants positifs | Récompenses, attracteurs simples, ressources, structure des récompenses, ressources en surplus, soutien de l'innovation, fonction utilitaire du fournisseur | Théorie du remboursement (Sonnad & Foreman 1997) |
Modifier les mesures de remboursement du fournisseur et de quote-part du patient. |
Partage des risques financiers entre le fournisseur et le patient | Budgets, capitation, etc., demande induite par le fournisseur | Théorie du remboursement (Sonnad & Foreman 1997) |
Modifier les mesures de remboursement du fournisseur et de quote-part du patient. |
Coût des transactions | Augmentation des coûts, coûts de transition associés à l'innovation | Théorie de la passation de marchés (Chalkley & Malcomson 1998) |
Modifier le système financier des soins de santé. |
Intensité de la concurrence | Maturité du marché | Théorie de la concurrence et de l'innovation (Funk 2002) | Introduire des caractéristiques de marché, notamment les risques financiers et l'amélioration des renseignements à l'intention des utilisateurs. |
Quels facteurs considérer pour choisir une intervention d'AC unique ou multiple?
- Les résultats des premières recherches indiquent que les interventions d'AC faisant appel à plusieurs composants sont très efficaces (elles visent un grand nombre d'obstacles au changement).
- Les recherches subséquentes soulèvent des doutes.
- Le concept d' « intervention unique » n'est pas clair.
- Une visite sur place visant à fournir de la formation, de la motivation, la planification de l'amélioration et de l'aide concrète constitue-t-elle une « intervention unique » ?
- Une intervention qui combine divers types de formation professionnelle (exposés, documentation, ateliers, etc.) visant à pallier le manque de connaissances constitue-t-elle une « intervention multiple »?
- Les interventions multiples gagnent en efficacité si elles visent différents types d'obstacles au changement.
- L'efficacité, la faisabilité et la viabilité des interventions multiples doivent être évaluées.
Pistes de recherche
- Dans quelle mesure l'analyse des facteurs de changement doit-elle se faire de manière intégrale et systématique?
- Quelle est la valeur ajoutée des interventions d'AC adaptées?
- Comment les programmes d'AC doivent-ils être conçus?
- Quel est le lien entre les obstacles au changement et le choix des interventions d'AC?
- Quel est le meilleur moyen de définir des hypothèses relatives aux programmes uniques et complexes d'AC tout en traitant plusieurs questions et en collaborant avec les partenaires?
- Comment assurer l'impact des interventions d'AC à long terme?
- L'élaboration systématique d'interventions d'AC est-elle réellement plus efficace et efficiente que les méthodes simples et pratiques de choix des interventions?
- De quelle manière les différents intervenants peuvent-ils participer à l'élaboration d'interventions d'AC?
- Poursuivre les recherches sur les facteurs d'amélioration des soins de santé permettrait également de guider le choix des interventions d'AC.
Résumé
- Choisir une intervention d'AC est un « art » guidé par la science.
- L'expérience pratique et la créativité sont essentielles pour choisir une intervention d'AC.
- L'utilisation d'une approche par étapes et de méthodes structurées favorise une approche complète et équilibrée.
- Les données probantes issues de la recherche sur les interventions d'AC peuvent servir d'orientation, ne serait-ce que pour indiquer le type d'intervention à éviter.
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