Discours d’ouverture du président Michael J. Strong - Conférence de la SRAP 2018
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Transcription
Dr Strong : Merci beaucoup de m'avoir invité à cette rencontre extraordinaire. Hier, j'ai eu l'occasion de visiter les différents kiosques – je crois avoir vu chacune des affiches – et je me suis assuré de cacher mon insigne afin de ne pas me faire poser trop de questions au sujet des IRSC!
On me demande souvent ce qui m'a le plus surpris à mon arrivée à la présidence des IRSC. Plusieurs réponses sont possibles, mais je vous dirais que la SRAP figure assurément en tête de liste. Je vais vous expliquer pourquoi sous peu, mais je vous dirais que mon expérience à titre de chercheur et de clinicien-chercheur est l'une des raisons, ainsi que le changement de perspective. Enfin, je compte vous lancer un grand défi, car il s'impose, mais j'y reviendrai.
Pour ceux et celles qui ne me connaissent pas – j'estime qu'il s'agit de la grande majorité d'entre vous –, je suis un clinicien-chercheur et un neurologue de formation. Mes recherches et mon travail portaient sur la maladie de Lou Gehrig et les maladies des motoneurones. Mon rôle clinique se divisait en deux volets : étudier la cognition et la démence qui peut accompagner les maladies des motoneurones, problème méconnu; et travailler au niveau moléculaire pour étudier la biologie cellulaire de la pathogenèse.
Permettez-moi de vous faire part d'une expérience, parce qu'elle n'est pas rare au Canada. Je suis revenu au pays dans les années 1990, et j'ai choisi London pour la nature de la clinique et de la recherche qui s'y faisait. Mes patients étaient atteints de sclérose latérale amyotrophique, une maladie des motoneurones. Leurs familles me disaient : « Son comportement a changé. Il a du mal à prendre une décision. Il est plus joyeux, mais il éclate parfois de rire sans aucune raison. » À l'époque, je n'avais qu'une seule réponse : je n'y peux rien. Il s'agissait là d'une partie d'un diagnostic désastreux, alors chacun devait le gérer à sa façon. Cette composante émotionnelle était dévastatrice pour les patients et leur famille, si bien qu'ils évitaient de sortir. Ils n'allaient plus à l'église, ni au restaurant, ni encore à des réceptions, et n'invitaient personne à la maison de peur de perdre la maîtrise de leurs émotions, de se mettre à rire ou à pleurer sans pouvoir se contrôler. Nous avons tout essayé sur le plan pharmacologique, mais en vain.
Un soir, lors d'un souper chez un collègue neuropsychiatre de London, j'ai abordé le sujet, avec, je l'avoue, un scotch à la main. Je lui ai dit : « Peter, j'ai un problème que je ne parviens pas à résoudre et j'aimerais avoir ton avis. » Il m'a aussitôt conseillé d'essayer la combinaison de deux médicaments. C'est ce que j'ai fait, et les symptômes ont disparu. Nous avions cependant beaucoup de mal à expliquer cet heureux résultat, car les récepteurs cibles ne se trouvaient pas dans une région du cerveau où une dégénérescence des motoneurones aurait été logique. En fait, ils se trouvaient devant la région motrice, faisant en sorte que les médicaments n'auraient pas dû fonctionner – à moins d'autre chose dans le processus pathologique. Et c'est là que les patients et leurs familles ont commencé à me montrer quelque chose de particulier. Je me souviens d'un patient, d'environ cette taille [avec gestes], un camionneur très rude, le seul qui, en 20 ou 30 années de pratique, m'ait appelé « Mikey ». Si j'étais en retard, je pouvais l'entendre crier « Mikey, mais où es-tu? Je dois te voir maintenant! »
Enfin, ce patient m'a un jour apporté un poème, car il s'était mis à faire de la poésie. C'était la dernière personne sur la Terre que j'aurais pu imaginer m'apporter un poème. Et d'autres patients se sont mis à m'apporter des œuvres d'art, ces mêmes œuvres qui ornent les murs de mon bureau. C'est alors que j'ai compris, par les symptômes de mes patients, leur maladie et les commentaires de leur famille, qu'une autre région du cerveau était en cause. Aujourd'hui, il existe des critères connus de par le monde pour diagnostiquer la dysfonction temporale frontale; il s'agit des critères Strong. Chez les soixante pour cent des patients qui les présentent, la survie à une maladie déjà désastreuse est écourtée d'un an. Nous en comprenons maintenant le fondement moléculaire après l'avoir étudié en laboratoire. Je peux le reproduire sur des modèles animaux et en culture cellulaire, et je peux le freiner au moyen de quatre médicaments différents ou par manipulation moléculaire. Vingt ans plus tard, je peux dire aux personnes avec qui j'ai entrepris cette aventure : « nous sommes maintenant prêts à réessayer ».
J'ai mené des recherches axées sur le patient tout au long de ma carrière. Or, pendant un souper avec des collègues alors que je me consacrais à la biologie cellulaire fondamentale, quelqu'un m'a demandé qui serait le prochain président des IRSC, et j'ai prétendu ne pas le savoir (je suis parfois capable de mentir). On m'a aussi demandé ce que je ferais avec la SRAP si j'étais président. Ma réponse? « Si c'était moi, je procéderais comme si j'avais de la "scrap" dans mes incubateurs : je m'en débarrasserais et je recommencerais! » Cette conversation remonte à seulement huit mois. Je ne plaisantais pas.
Maintenant, je suis le plus ardent défenseur de la SRAP. Mais comment suis-je passé d'une personne qui voulait détruire la SRAP – même si la recherche axée sur le patient était au cœur de mon travail – à une personne qui ne pourrait même pas envisager une chose pareille?
Tout un revirement, non? La différence, c'est que mes connaissances sur la SRAP sont à des années-lumière de ce qu'elles étaient il y a six mois. Je connais ses origines et ses résultats : les interactions, l'engagement des patients, la réduction du diabète chez les Premières Nations grâce à la participation des adolescents, qui enseignent aux enfants à changer leur alimentation et leur niveau d'activité physique, et à comprendre les facteurs de risque métabolique. Je constate que les outils mis en place permettent de commencer à répondre aux questions qui présentent un intérêt pour les patients. Imaginez que quelqu'un arrive dans mon labo en plein milieu d'une expérience et qu'il débranche ma centrifugeuse tout d'un coup. Quelle serait ma réaction ou celle de mes étudiants? Disons que nous ne serions pas très contents…
Alors, pourquoi stopper les travaux de la SRAP en plein milieu de son mandat, au moment où le programme bat son plein? Nous commençons à voir les résultats. Regardez autour de vous : c'est le plus grand rassemblement jusqu'à présent. Vous posez aussi les bonnes questions. J'ai pu le constater en lisant vos affiches hier soir. C'est pourquoi je vous mets au défi de changer l'opinion des gens comme moi – ils sont nombreux en recherche biomédicale et en biologie cellulaire, à l'autre extrémité du spectre de la recherche – qui pensent que ce programme a été créé au détriment des autres types de recherche. Mais c'est faux! La SRAP, c'est une idée de génie, un partenariat exceptionnel. Il faut passer le message, non seulement aux patients pour favoriser leur engagement, mais aussi à nos partenaires : les gouvernements fédéral et provinciaux, les organisations de soins de santé, les ONG, Recherche Canada, etc. Nous devons leur faire comprendre les bienfaits de la SRAP. Peu importe vos fonctions, vous êtes maintenant tous des porte-paroles de la SRAP. Ne ratez jamais l'occasion d'expliquer la raison d'être, les activités et la valeur du programme. Les preuves sont là; il suffit de les montrer.
Vous ne m'entendrez jamais dire que je vais me débarrasser de la SRAP. Au lieu, je dis « préparons-nous pour les quatre à cinq prochaines années ». La SRAP est en période de transition, comme nous, et comme prévu. À l'origine, l'objectif était de maintenir la stabilité dans certains secteurs et d'en renforcer d'autres. Nous sommes sur la bonne voie, mais vous avez un grand défi. Dans quelques années, vous aurez besoin de gens comme moi (à supposer que les IRSC ne veuillent pas se débarrasser de moi d'ici là) pour dire aux gouvernements : « la SRAP nous a été très utile, et voici les données qui le prouvent ». Vos récits sont indispensables. Soyez clairs et concis, et montrez comment la SRAP transforme les soins et la participation des patients, et comment elle contribue au mandat des IRSC : améliorer la santé. Faites en sorte que tout le monde puisse le comprendre facilement. Expliquez l'utilité de changer les résultats dans les soins de santé non seulement dans un avenir rapproché, mais aussi dans une vingtaine d'années. La société ne rajeunit pas, comme en témoignent les chevelures blanches dans la salle dont je fais moi-même partie. Les coûts ne cessent d'augmenter, tout comme le fardeau des maladies, et nous n'avons pas les moyens d'affronter ce problème. La SRAP doit être notre solution.
Dans quatre ans et demi, quand nous défendrons l'importance de la SRAP à l'échelle nationale ET internationale, je veux que nos arguments soient si impeccables que personne ne doute de la nécessité d'étendre le programme. Il s'agit d'assurer non seulement sa survie, mais aussi son expansion. Je vous confie donc la mission de poursuivre vos travaux, tout en continuant de mieux faire connaître la SRAP et de contribuer à sa croissance et à sa défense. Je m'engage à être au front pour vous. Je vous le garantis.
Bref, j'ai hâte de voir l'expansion de la SRAP et d'y participer avec vous. J'ai appris ma leçon et vous en remercie. Je suis impatient de découvrir le fruit de votre travail. Félicitations, et merci beaucoup!
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