Demandez à un scientifique : La recherche sur les vaccins contre la COVID-19 a-t-elle été trop précipitée?
Transcription
Question : La recherche sur les vaccins contre la COVID-19 a-t-elle été trop précipitée?
Dr Mike Strong : La réponse simple est non.
Il est vrai que nous sommes passés très rapidement de l’identification du virus SARS-CoV-2 à la mise au point d’excellents vaccins expérimentaux – mais il est clair pour moi que rien de tout ça n’a été fait à la hâte.
Rapidité et précipitation ne veulent pas dire la même chose – et je crois que la distinction est importante à faire.
Cette distinction existe parce que les vaccins que nous voyons – en particulier les vaccins à ARN messager – sont peut-être nouvellement arrivés sur le marché, mais leur façon d’utiliser l’ARN messager n’est pas une idée nouvelle.
Laissez-moi vous expliquer.
Les scientifiques travaillent sur ce type de technologie à ARN messager depuis des décennies.
Et c’est ici qu’entre vraiment en scène ce que nous appelons la recherche fondamentale. Il s’agit du genre de recherche qui se concentre sur les mécanismes biologiques sous-jacents ainsi que sur les fondements cellulaires, moléculaires et physiologiques de la santé et de la maladie.
La finalité de ce type de recherche n’est habituellement pas l’atteinte d’un objectif ou la création d’un produit – et cela n’est pas nécessaire, car sa fonction consiste à approfondir et à élargir notre compréhension du fonctionnement des choses.
Cette base scientifique – établie par la recherche fondamentale – permet aux scientifiques dans le domaine de la recherche appliquée de décortiquer les connaissances acquises et d’essayer de s’en servir pour des usages particuliers, comme la mise au point de médicaments ou de traitements.
L’histoire de la science entourant la création des vaccins à ARN messager se déroule sur de nombreuses années et inclut des centaines d’acteurs de partout dans le monde qui ont contribué, en recherche fondamentale et appliquée, à l’enrichissement graduel de la base de connaissances, des preuves scientifiques.
Mais je peux en partager quelques faits saillants.
Cette histoire pourrait débuter à beaucoup d’endroits, mais commençons avec la Dre Katalin Karikó.
- Durant les années 1990, alors qu’elle était chercheuse à l’Université de la Pennsylvanie aux États-Unis, elle croyait fermement que l’ARN messager avait le potentiel de révolutionner la médecine – SI nous arrivions à trouver comment administrer la version synthétique aux patients de manière sécuritaire et efficace.
- Après avoir consacré une décennie à explorer cette idée, la Dre Karikó a réalisé une percée d’importance cruciale en 2005 avec son collègue le Dr Drew Weissman.
- En gros, les deux ont gagné leur pari : ils ont découvert comment synthétiser l’ARN messager de façon à pouvoir l’injecter de façon sécuritaire.
Et c’est ici que l’histoire commence vraiment à s’accélérer.
Les découvertes des Drs Karikó et Weissman, après leur publication dans une revue scientifique, ont attiré l’attention d’un autre chercheur du nom de Derrick Rossi.
- Le Dr Rossi, un Canadien spécialisé en biologie des cellules souches, a voulu prendre appui sur ces travaux lorsqu’il a ouvert son laboratoire à l’École de médecine de l’Université Harvard et en 2007.
- En 2009, le Dr Rossi et son équipe ont créé tout un émoi lorsque, à partir des découvertes des Drs Karikó et Weissman, ils ont réussi à se servir d’un ARN modifié pour reprogrammer des cellules adultes afin de les faire se comporter comme des cellules souches embryonnaires.
- (Cela a mené à la création de Moderna, mais ça, c’est une autre histoire.)
On peut donc voir que l’intérêt pour l’usage thérapeutique de l’ARN a commencé à s’intensifier il y a 10 à 15 ans.
En même temps, les chercheurs réfléchissaient aux utilisations réellement envisageables de cette découverte en médecine. Après tout, afin de traiter un patient, il faut pouvoir introduire le traitement dans son organisme ET s’assurer de le transporter aux bonnes cellules.
La solution est venue des travaux novateurs de vedettes de la recherche canadienne, comme le Dr Pieter Cullis et son équipe à l’Université de la Colombie-Britannique, dans le domaine des nanoparticules lipidiques.
- Leurs travaux remontent réellement au début des années 1980, mais ils ont commencé à s’intéresser à l’utilisation des nanoparticules lipidiques pour la création de produits de thérapie génique vers 1995.
- Ces nanoparticules lipidiques enrobent l’ARN d’une bulle protectrice, comme une enveloppe spéciale, de façon à ce qu’il puisse être amené aux cellules cibles de façon sécuritaire et efficace.
Bref, l’utilisation de ces nanoparticules lipidiques dans un produit de thérapie génique a eu tellement de succès que les chercheurs se sont associés à différentes entreprises, y compris BioNTech, la société allemande qui a fait équipe avec Pfizer pour créer un des vaccins approuvés contre la COVID-19.
Ce vaccin se sert des nanoparticules lipidiques pour transporter l’ARN messager à vos cellules!
Et enfin, à cela s’ajoute la recherche réalisée sur deux autres coronavirus : le premier associé au SRAS original (reconnu comme une menace mondiale en mars 2003) et celui associé au SRMO (dont les premiers cas ont été rapportés en 2012).
- Ces éclosions ont stimulé les recherches qui ont permis d’identifier la maintenant célèbre « glycoprotéine S » sur le coronavirus comme une bonne cible à exploiter pour la création d’un vaccin.
- Sans ces recherches, et surtout sans les découvertes réalisées au cours des dernières années seulement, les chercheurs n’auraient pas eu l’information voulue pour mettre au point des vaccins expérimentaux aussi prometteurs si rapidement.
Prenons par exemple le cas de la Dre Kizzmekia Corbett, une chercheuse des National Institutes of Health des États-Unis qui a cosupervisé la conception du vaccin de Moderna contre la COVID-19.
- En 2014, la Dre Corbett a commencé à travailler à la création de vaccins potentiels contre les coronavirus, en se concentrant sur le SRAS et le SRMO.
- Et parallèlement à ce travail, elle étudiait la viabilité des nouvelles technologies vaccinales, comme celles faisant usage de l’ARN.
- Lorsque la pandémie s’est déclarée, la Dre Corbett et son équipe ont pu se mobiliser sans tarder pour travailler à un nouveau vaccin à l’aide des connaissances acquises au cours d’années de recherches et d’expériences.
Vous pouvez donc voir que toutes ces petites découvertes s’accumulent avec le temps à mesure que les chercheurs étudient ces choses et développent les preuves scientifiques pour que d’autres chercheurs puissent s’y référer et les intégrer à leurs travaux, et ainsi de suite.
Mais c’est ainsi en science. Et c’est ainsi en recherche. Et c’est pourquoi ces choses sont si captivantes.
Et c’est en raison du niveau d’avancement de nos connaissances – en raison du fondement scientifique qui était en place et du travail déjà accompli – que des vaccins expérimentaux très prometteurs ont pu être mis au point dans un délai relativement court pour ensuite être testés rigoureusement dans le cadre d’essais cliniques en plusieurs phases.
C’est un peu comme voir un athlète professionnel offrir la performance de sa vie : c’est spectaculaire, mais cela est l’aboutissement d’années de travail acharné et non pas une réussite « sortie de nulle part ».
Non, les recherches qui ont mené à ces vaccins n’ont pas été faites à la hâte.
En fait, l’histoire de la création de ces vaccins – et les décennies de recherche qui ont été nécessaires à l’écriture de cette histoire – est vraiment remarquable.
- Date de modification :