Pics d’affluence : comment une plateforme numérique novatrice contribue à réduire les délais d’attente aux urgences
Partout dans le monde, les services d'urgence des hôpitaux sont confrontés à de longs délais d'attente et à des problèmes d'engorgement. Et le Canada ne fait pas exception, en particulier dans les localités rurales, où ces difficultés touchent aussi bien les patients que les fournisseurs de soins de santé.
« Quand vous souffrez, chaque minute compte, explique la Dre Shabnam Asghari, professeure de médecine familiale et directrice de recherche au Centre for Rural Health Studies [Centre d'études sur la santé en milieu rural] à l'Université Memorial de Terre-Neuve (en anglais seulement). Mais les délais d'attente sont également un problème pour les fournisseurs de soins de santé. Chaque minute économisée nous permettra d'offrir de meilleurs services aux patients et, espérons-le, d'améliorer leur santé. Finalement, tout le monde aurait intérêt à ce que les délais d'attente raccourcissent. »
C'est en partie avec cet objectif en tête que la Dre Asghari s'est associée au Dr Chris Patey et à Paul Norman, de l'Hôpital général de Carbonear, qui sert la côte sud-est de Terre-Neuve-et-Labrador. Ce duo dynamique travaille depuis plusieurs années à réduire les délais d'attente aux urgences de Carbonear, où des patients ont parfois dû attendre plusieurs heures avant de voir un médecin.
« Comme dans beaucoup d'autres endroits, notre volume de patients augmentait, mais pas nos ressources, raconte M. Norman, infirmier autorisé et coordonnateur du roulement des patients au service d'urgence de Carbonear. Nous savions que nous devions revoir notre façon de faire. »
M. Norman et le Dr Patey se sont intéressés aux « pics d'affluence » (lorsqu'un afflux soudain de patients arrive aux urgences, dépassant parfois la capacité du service) et au « roulement des patients » (façon dont les patients sont orientés dans le système, du triage au traitement). Initialement, tous deux consignaient ces éléments manuellement, en collant des morceaux de papier sur la vitre d'un couloir. Ils ont alors été surpris de constater qu'ils pouvaient dégager des tendances et, dans une certaine mesure, prédire les petits pics d'affluence dans une journée. Par la suite, ils ont cherché les facteurs qui contribuaient à engorger les urgences et pris des mesures adaptées pour résoudre chaque problème. Globalement, ils voulaient voir s'ils pouvaient gérer efficacement un pic d'affluence avant qu'il ne devienne un problème. Même avec ce système manuel, les résultats étaient prometteurs.
« Il n'y a pas de solution toute faite pour gérer les délais d'attente et les pics d'affluence aux urgences, mais il y a plusieurs façons de coordonner les ressources pour gérer ces pics de la meilleure manière possible, » explique le Dr Patey, chef des services cliniques aux urgences de l'Hôpital général de Carbonear, professeur de médecine familiale à l'Université Memorial de Terre-Neuve et diplômé du programme 6for6 du Centre d'études sur la santé en milieu rural, lequel vise à former des médecins pratiquant en milieu rural à la recherche en santé communautaire. « L'objectif de ce système a toujours été de maximiser l'efficacité du service sans sacrifier la qualité des soins. »
Grâce au travail passionné de ses concepteurs, le système a évolué jusqu'à devenir un outil d'amélioration de la qualité multidimensionnel : « SurgeCon ». Et cet outil pourrait bien aujourd'hui révolutionner la gestion des services d'urgence du pays.
SurgeCon en action
L'équipe de recherche a commencé par réaliser une étude de validation de principe pour évaluer les retombées de la mise en œuvre intégrale de SurgeCon à l'Hôpital général de Carbonear entre 2013 et 2017.
« Beaucoup de recherches portent sur les services d'urgence des centres urbains (et elles sont importantes), mais elles peuvent ne pas s'appliquer aux besoins et aux réalités des services d'urgence des régions rurales, plus petits, explique le Dr Patey. En outre, les services d'urgence en milieu rural s'avèrent être le lieu idéal pour essayer de nouvelles approches d'amélioration de la qualité. D'abord, ils sont agiles. Ensuite, comme la population n'a parfois pas d'autre endroit où recevoir des soins, les améliorations apportées à ces services peuvent bénéficier à l'ensemble de la collectivité. »
L'étude consistait à mettre en œuvre SurgeCon, une initiative de grande envergure en sept étapes allant de l'évaluation exhaustive et indépendante du service d'urgence (pour quantifier formellement le rendement et cerner les points à améliorer) à l'utilisation du protocole de gestion de l'affluence basé sur des mesures concrètes conçu par M. Norman et le Dr Patey. Les résultats ont été extraordinaires : le temps d'attente moyen aux urgences est passé de 104 à 42 minutes, et le temps total passé aux urgences (de l'arrivée du patient à son admission ou à sa sortie de l'hôpital) est passé de 199 à 134 minutes. Et ce, malgré une hausse globale du volume de patients d'environ 25 %, sans ajout de ressources.
Grâce au succès de cette initiative et à l'obtention de nouvelles subventions en 2018, le Dr Patey et M. Norman ont perfectionné leur protocole en le transformant en une application mobile : SurgeCon (en anglais seulement) (une plateforme logicielle conçue par MOBIA Technology Innovations). Cette avancée s'est accompagnée de l'adoption d'une stratégie d'innovation (en anglais seulement) par la Régie de santé de l'Est et de l'établissement de partenariats novateurs au profit des patients, des clients, du système de santé et de l'économie de la province. Ces partenariats contribuent à faire de la Régie de santé de l'Est un laboratoire vivant qui insuffle une culture d'innovation, encourage les idées nouvelles et promeut la recherche afin d'améliorer les services et les produits de santé.
L'application améliore le système manuel en tirant profit de la puissance des algorithmes en temps réel pour mieux gérer le roulement des patients et les capacités des urgences. Grâce aux données que saisit le personnel tout au long de la journée sur le nombre de patients et les ressources disponibles, l'application définit cinq niveaux d'affluence (de « service calme » à « service surchargé »). Quand le seuil de chaque niveau est atteint, l'application en informe les principaux membres du personnel, comme les administrateurs, et leur assigne des tâches pour désengorger le service.
Une fois l'application prête à l'emploi, l'équipe de recherche a lancé en janvier 2021, dans toute la province de Terre-Neuve-et-Labrador, une vaste étude destinée à mettre à l'essai l'initiative d'amélioration de la qualité SurgeCon dans plusieurs services d'urgence en milieux urbain et rural. Grâce à son partenariat avec la Régie de santé de l'Est, la plus importante autorité sanitaire de la province, l'équipe a trouvé quatre établissements représentatifs de la diversité des hôpitaux du Canada. Pour les besoins de l'étude, l'initiative consiste à restructurer l'organisation et le flux de travail des services d'urgence, à instaurer un environnement d'urgence axé sur les patients et à mettre en œuvre les mesures de gestion recommandées par l'application SurgeCon. L'équipe évaluera les retombées de l'initiative (temps d'attente, satisfaction des patients, coûts, etc.) et les difficultés qui pourraient survenir en cours de route.
« Nous voulons que SurgeCon convienne à tout type de service d'urgence. Cette étude nous permettra de savoir si les résultats positifs observés à Carbonear sont reproductibles ailleurs, et elle pourrait donner aux professionnels de la santé en milieu rural les moyens de résoudre les problèmes propres à leur milieu, explique la Dre Asghari. C'est toute la beauté de ce projet : donner la priorité à la transformation des soins de santé dans les régions rurales et reculées tout en en apprenant plus sur les besoins en santé urbaine. En outre, cette étude nous permettra de cerner d'autres facteurs que nous devrons peut-être prendre en considération pour les hôpitaux de Montréal ou de Vancouver, par exemple. Nous serons mieux préparés pour un déploiement à grande échelle. »
Une vision optimiste
Tout comme beaucoup de personnes extrêmement bien préparées, l'équipe de recherche a dû s'adapter à la pandémie de COVID-19.
« La pandémie a eu de profondes répercussions sur l'étude, confie Oliver Hurley, coordonnateur de recherche au Centre d'études sur la santé en milieu rural et gestionnaire du projet SurgeCon. Notre équipe ne faisait pas partie du personnel essentiel et n'a donc pas pu se rendre dans les hôpitaux sélectionnés, ce qui a retardé les séances d'encadrement et de formation que nous avions planifiées pour aider les établissements à mettre en œuvre SurgeCon. En outre, le premier hôpital que nous avions choisi était aux prises avec des problèmes d'épuisement professionnel et de manque de ressources. Mais, étonnamment, tout le monde voulait que le projet fonctionne. »
En pleine pandémie, l'équipe a également dû faire face à un autre imprévu : en novembre 2021, l'intégralité de l'infrastructure de soins de santé de la province a été immobilisée à la suite d'une cyberattaque. Toutes les activités de recherche ont été interrompues au beau milieu d'une phase de déploiement importante. « Vu le niveau de stress que la première année de la pandémie et la cyberattaque ont engendré pour l'étude et le déploiement, je suis sûr que les occasions d'abandonner le projet ont été nombreuses pour la Régie de santé de l'Est et les cliniciens participants, reconnaît M. Hurley. Mais ils nous ont suivis, car je pense qu'ils croyaient sincèrement à ce que nous faisions. »
Et ils n'étaient pas les seuls.
En septembre 2020, MOBIA a obtenu une subvention du gouvernement fédéral dans le cadre du programme Solutions innovatrices Canada pour mettre l'application SurgeCon à la disposition d'autres hôpitaux canadiens pour un projet pilote. Un an plus tard, le Réseau de santé Horizon a accepté l'offre et a commencé à déployer l'application dans sept hôpitaux du Nouveau-Brunswick – un déploiement utile pour l'étude de Terre-Neuve-et-Labrador, car l'équipe de recherche peut tirer profit des enseignements tirés au Nouveau-Brunswick et à Terre-Neuve-et-Labrador pour améliorer l'application dans les deux provinces. Dans cette optique, l'Agence de promotion économique du Canada atlantique a investi dans l'entreprise MOBIA en juillet 2021 pour que cette dernière poursuive sa collaboration avec SurgeCon Innovations Inc. afin de développer « SurgeCon 2.0 », le logiciel de dernière génération.
« C'est stimulant, gratifiant et épuisant – c'est beaucoup de choses à la fois, confie M. Norman. Mais je crois que ce projet illustre vraiment le pouvoir formidable de la recherche et de la collaboration. L'avenir de SurgeCon s'annonce radieux. »
L'étude SurgeCon de Terre-Neuve-et-Labrador est financée par la Stratégie de recherche axée sur le patient, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, la Régie de santé de l'Est, l'Université Memorial de Terre-Neuve et la Trinity Conception Placentia Health Foundation [Fondation de santé Trinity Conception Placentia]. Les chercheurs de cette étude collaborent étroitement avec des patients partenaires, membres du grand public qui se sont portés volontaires pour faire partie de l'équipe.
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