Pôle du Québec de l'ICRIS : Faire tomber les barrières, rapprocher les communautés et transformer des vies
Cheffe de file canadienne et mondiale de la recherche sur les dépendances, la Dre Julie Bruneau se consacre depuis des décennies à son unique mission : déstigmatiser les troubles de l'usage de substances.
« Je ne prétends pas changer le monde, mais je crois contribuer au changement et à l'évolution des mentalités », dit la Dre Bruneau, médecin spécialiste de la dépendance, professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en médecine des toxicomanies à l'Université de Montréal.
« Les troubles liés à l'usage de substances psychotropes font partie des maladies les plus courantes dans le milieu des soins primaires, au même niveau que des maladies chroniques comme l'hypertension et le diabète, et pourtant, on continue de stigmatiser les patients. Il faut lever le voile de mépris qui couvre les dépendances. »
De la coévolution à l'indépendance
La Dre Bruneau est la chercheuse principale désignée du pôle du Québec de l'Initiative canadienne de recherche sur les impacts des substances psychoactives (ICRIS) (en anglais seulement), un réseau formé de cinq pôles régionaux (en anglais seulement) financé par les Instituts de recherche en santé du Canada.
Au sein de l'ICRIS, l'histoire du pôle du Québec, établi en 2015, en est une d'évolution. Initialement, ce pôle englobait le Québec et le Canada atlantique, les membres des cinq provinces travaillant de concert à la mise en place d'une infrastructure de recherche solide. Le pôle a aidé à établir des synergies, des relations de mentorat et des collaborations entre les chercheurs du Québec et les équipes de recherche des provinces de l'Atlantique.
« Nous avons évolué ensemble pendant les six premières années en nous concentrant sur un mandat commun en tant que groupe de chercheurs collaborant dans différentes langues et issus de différentes communautés, dont des communautés autochtones, pour établir des ponts entre les provinces de l'Atlantique et le Québec » explique la Dre Bruneau.
Le premier essai national de l'ICRIS, désigné OPTIMA (en anglais seulement), comparant l'efficacité de deux modèles de soins pour le traitement des troubles liés à l'usage d'opioïdes, a été encadré par le pôle Québec-Atlantique. Ensemble, l'essai et l'infrastructure du pôle ont jeté les bases sur lesquelles les cinq provinces ont établi leur capacité de recherche et d'essai clinique, ouvrant la voie à leur indépendance.
Étendre la recherche du milieu francophone à l'ensemble du Canada
« Maintenant que nous avons notre propre pôle, nous sommes en liaison avec d'autres régions sur la scène nationale de la recherche, et cela est prioritaire pour nous », dit la Dre Bruneau. « Le Québec est majoritairement francophone et représente 22 pour cent de la population canadienne. Du côté de la recherche, nous devons redoubler d'efforts pour que les chercheurs francophones du Québec et du reste du pays aient un siège à la table. »
Selon la Dre Bruneau, l'un des plus grands défis auxquels sont confrontés les chercheurs du Québec est le manque de partenariats avec des chercheurs anglophones canadiens. Ainsi, les barrières linguistiques amènent souvent les scientifiques francophones qui travaillent sur des recherches novatrices à collaborer plutôt avec d'autres francophones à l'étranger. La Dre Bruneau affirme que, grâce à l'ICRIS, les choses commencent à changer à cet égard.
« Nous souhaitons faire profiter le reste du Canada de l'expertise du Québec. Le milieu de la recherche québécois a beaucoup à offrir, particulièrement lorsqu'il s'agit de trouver des solutions à la crise des opioïdes. Nous devons veiller à ce que la langue n'entrave plus la mise en commun des connaissances et de l'expertise. L'ICRIS ouvre la porte à ces échanges », affirme la Dre Bruneau.
« Le pôle du Québec a mis les bouchées doubles pour que tous les produits issus de l'ICRIS soient offerts en français et en anglais et que les chercheurs francophones de partout au pays puissent participer à l'ensemble des projets de l'Initiative. Il faut que toute la communauté comprenne et partage les innovations remarquables qui voient le jour aux quatre coins du pays. »
Une approche communautaire reposant sur la mobilisation des Autochtones
La Dre Bruneau déclare que l'inclusion et les liens communautaires jouent un rôle déterminant dans la réussite du pôle du Québec, lequel compte au sein de son personnel des personnes ayant une expérience concrète et des Autochtones. « Nous ne voulons pas de membres purement symboliques. Nous ne voulons pas qu'une personne soit chargée de représenter à elle seule toute une communauté à notre table. Nous disposons d'un comité consultatif formé de personnes ayant une expérience concrète, de représentants d'organisations et de membres de la communauté aux premières lignes des services de traitement de la dépendance qui sont tous prêts à offrir leur expertise. Leur concours aide à orienter nos recherches », souligne la Dre Bruneau.
« Nous collaborons avec des groupes de travail autochtones au Québec et dans les provinces de l'Atlantique depuis 2018. Nous poursuivons cette collaboration avec nos collègues du pôle de l'Atlantique », ajoute la Dre Bruneau. « Les communautés autochtones sont confrontées à diverses situations, certaines en raison de leur emplacement, la plupart en raison de la stigmatisation et de la colonisation. Notre objectif est de développer la capacité dans ces communautés et de comprendre et cerner les possibilités de recherches dirigées par des Autochtones. »
Miser sur la recherche pour éliminer la stigmatisation
Le mandat de l'ICRIS prévoit notamment l'investissement dans des idées de recherche nouvelles et novatrices dans le cadre du Programme de développement de la recherche. Le programme associe des idées de la communauté à des chercheurs ou spécialistes techniques afin de favoriser l'obtention d'un financement et d'aider à mettre des projets en branle. « Il allie financement d'amorçage et mentorat pour aider à développer la capacité de recherche dans l'ensemble des communautés du Québec », explique la Dre Bruneau.
Celle-ci est d'avis que l'investissement dans la recherche fondée sur des données probantes peut non seulement améliorer les vies, mais aussi orienter les politiques. À ses yeux, ce sont les soins primaires qui constituent la première pierre de cet édifice.
« La crise des opioïdes actuelle n'est que la pointe de l'iceberg, prévient la Dre Bruneau. Il est plus facile de régler un problème de toxicomanie lorsque la personne consulte son médecin de famille dès les premiers signes du problème. J'ai passé toute ma carrière à préconiser la prestation d'une formation plus poussée aux médecins de famille afin que les dépendances soient traitées comme les maladies chroniques. »
« Par notre approche fondée sur des données probantes, nous avons formé quantité de médecins qui, à leur tour, forment d'autres personnes; nous faisons donc des progrès. Cela dit, il faut absolument changer les mentalités. Il faut éliminer la stigmatisation qui entoure la dépendance et l'usage de substances. Seulement ainsi pourra-t-on réellement aider les gens. »
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