Rapport sommaire : séances de consultation virtuelles sur le plan d'action contre le racisme des IRSC
Dans leur plan stratégique 2021-2031, les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) prévoient l'élaboration en concertation d'un plan d'action pour lutter contre le racisme systémique dans leur système de financement. C'est ainsi que de mars à mai 2022, ils ont organisé une série de huit séances de consultation virtuelles en petits groupes afin de discuter de leur stratégie antiracisme. Ces séances avaient pour objectif de parler des obstacles cernés par les participants qui pourraient être abordés dans le plan d'action et de classer par ordre de priorité les mesures à prendre pour les surmonter.
La plupart des personnes ayant participé aux séances étaient des chercheuses et chercheurs et des stagiaires en santé issus de communautés touchées par le racisme. Les séances étaient animées par generativ.ca, société d'experts-conseils spécialisée dans la lutte au harcèlement et les questions de diversité, d'équité et d'inclusion. Le présent rapport résume les thèmes abordés lors des séances de consultation.
Pendant la consultation, les obstacles et le racisme vécus par les chercheuses et chercheurs autochtones ont été soulignés. Mais compte tenu de l'histoire, des expériences et des droits propres aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis, les IRSC tiendront des séances distinctes avec les partenaires autochtones sur ce sujet. Ces discussions seront menées par la directrice scientifique de l'Institut de la santé des Autochtones des IRSC.
Principaux points à retenir
Les séances de consultation virtuelles sur le plan d'action contre le racisme des IRSC ont permis de recueillir des commentaires précieux qui orienteront l'élaboration de la version définitive du plan. Les participantes et participants ont fait ressortir les points suivants :
- Il faut prendre en compte le contexte historique et systémique élargi, où les IRSC ne représentent qu'un acteur. Les chercheuses et chercheurs autochtones, noirs et touchés par le racisme sont confrontés à des obstacles bien avant leur contact avec le système de financement des IRSC, obstacles auxquels s'ajoutent les politiques et les pratiques des IRSC.
- On reconnaît que l'éradication du racisme systémique nécessitera des efforts et des investissements soutenus à long terme, et qu'il y a urgence d'agir maintenant.
- Il est important de s'assurer que le plan d'action entraînera des changements véritables, compte tenu de la lassitude face aux appels répétés à la mobilisation et de l'impression de revenir continuellement sur les mêmes questions sans progrès tangible.
- On reconnaît que les chercheurs et les stagiaires issus des communautés touchées par le racismeNote en bas de page 1 sont des personnes aux profils divers, qu'elles sont touchées de manière différente par le racisme et qu'elles s'entendent sur certaines questions importantes, mais pas toutes. Malgré un certain essoufflement, il faut poursuivre la mobilisation, non seulement pour examiner les points de désaccord, mais aussi pour guider la phase de mise en œuvre du plan d'action.
Aperçu des séances de consultation
Au total, 81 personnes ont participé aux séances de consultation virtuelles en petits groupes :
- 57 provenaient d'établissements de recherche canadiens, toutes étapes de cheminement de carrière confondues : chercheurs postdoctoraux, chercheurs en début de carrière, chercheurs en milieu de carrière, chercheurs chevronnés et étudiants des cycles supérieurs.
- Les autres provenaient du milieu universitaire, d'organismes gouvernementaux ou sans but lucratif, et du système de soins de santé.
- Les participants venaient de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, du Manitoba, de l'Ontario, du Québec et de la Nouvelle-Écosse.
- 11 participants se sont déclarés francophones.
Pour des raisons juridiques et de protection des renseignements personnels, les IRSC n'ont pas recueilli de données démographiques non regroupées; cependant, presque tous les participants et participantes ont indiqué appartenir à une communauté autochtone ou noire, ou une autre touchée par le racisme.
Les IRSC ont fourni du matériel avant les séances pour favoriser la participation, notamment : un résumé de l'analyse du contexte sur le racisme systémique dans le système de financement de la recherche en santé et une version provisoire du plan d'action contre le racisme des IRSC, comprenant des objectifs provisoires et des activités clés, à commenter.
Discussion sur les obstacles rencontrés par les communautés touchées par le racisme
Dans l'ensemble, les participantes et participants ont confirmé que les obstacles soulevés dans l'analyse du contexte correspondent à leurs connaissances ou à leurs expériences du système de financement de la recherche en santé, et ont souligné les autres aspects suivants :
- Ce système a des tendances d'autoreproduction et d'autorenforcement, ce qui complique grandement la tâche des personnes autochtones, noires ou membres des communautés touchées par le racisme qui n'ont pas déjà de contacts ni de réseaux dans le monde de la recherche et le milieu universitaire qui pourraient les aider à obtenir des fonds et à faire progresser leur carrière. Parmi les exemples cités par les participants qui pourraient avoir comme effet de désavantager systématiquement les personnes autochtones, noires et issues de communautés touchées par le racisme, mentionnons le processus de rationalisation des demandes dans le cadre de l'évaluation par les pairs et le manque de transparence dans le processus de sélection des membres des comités d'évaluation par les pairs.
- À cause des inégalités systémiques généralisées et des effets cumulatifs du racisme, les stagiaires et les chercheuses et chercheurs autochtones, noirs et issus de communautés touchées par le racisme sont souvent très désavantagés par rapport à leurs homologues blancs en entrant dans les systèmes de recherche et de financement en santé. Mentionnons notamment les traumatismes, l'épuisement et le découragement résultant d'une vie d'expériences racistes dans le milieu de la recherche en santé et au-delà de ce dernier.
- En raison du nombre relativement faible de membres du corps professoral issus de ces communautés, les chercheuses et chercheurs des communautés autochtones, noires et touchées par le racisme subissent un fardeau supplémentaire. La population étudiante de ces communautés peut avoir du mal à trouver des mentors qui comprennent ses expériences, et les professeures et professeurs de ces communautés (les personnes noires, en particulier) doivent composer avec des attentes démesurées en matière de mentorat et d'autres tâches liées à la lutte contre le racisme.
- La participation symbolique. Les chercheuses et chercheurs autochtones, noirs et issus de communautés touchées par le racisme sont parfois invités à participer à une subvention pour satisfaire à une exigence, sans qu'on tienne réellement compte de leur intérêt pour la recherche ou de leur contribution possible, et sans véritable intention de les faire participer.
- Le besoin de tout ranger dans une case. Les chercheuses et chercheurs noirs et autochtones, en particulier, se voient souvent cantonnés dans des thèmes particuliers et reçoivent encore moins de soutien lorsqu'ils veulent sortir de ces champs de recherche.
- L'intersectionnalité. Les répercussions de la discrimination raciale s'exacerbent lorsqu'elles recoupent d'autres dimensions de l'expérience des communautés autochtones, noires et touchées par le racisme, comme la pauvreté, le statut d'immigrant, l'identité sexuelle et de genre, et la taille de l'université.
- Certains éléments touchent spécifiquement les communautés noires, comme les répercussions de l'histoire de l'esclavage au Canada et le racisme dont sont victimes les chercheurs en santé noirs. Il s'agit notamment des commentaires racistes formulés par les pairs en raison de l'identité noire du candidat et/ou de l'intérêt que celui-ci porte aux les communautés africaines, caribéennes et noires. Les participants ont également discuté des cas où les chercheuses et chercheurs principaux des subventions réorientent la population étudiée une fois le financement obtenu, la faisant passer des personnes noires aux minorités visibles.
- Certains éléments touchent spécifiquement les communautés autochtones, comme le manque de compréhension des déterminants de la santé autochtone, notamment les aspects culturels, qui diffèrent de ceux de la population générale. Les étudiantes et étudiants et les stagiaires autochtones sont souvent complètement coupés de leur communauté lorsqu'ils fréquentent l'université et perdent les repères culturels essentiels à leur santé mentale et à leur bien-être.
Discussion des priorités pour le plan d'action contre le racisme des IRSC
Impressions générales
Dans l'ensemble, les participantes et participants approuvent l'idée générale du plan d'action. Toutefois, certains ont fait valoir qu'il ne va pas assez loin pour s'attaquer aux fondements coloniaux et à la nature systémique du racisme, et ont exprimé leur scepticisme quant à la volonté ou à la capacité des IRSC d'apporter un changement systémique. À cet égard, les participants ont insisté sur l'investissement à long terme et la durabilité des efforts, compte tenu de l'ampleur du changement systémique requis. De plus, ils ont noté que la version provisoire du plan d'action n'indique pas comment les IRSC feront pour faire progresser ces engagements auprès de leurs divers partenaires et parties prenantes externes. Enfin, la question de la responsabilisation a été récurrente, et les participants ont souligné l'importance de l'intégrer au plan d'action, avec des objectifs clairs et explicites, des points de référence et des évaluations régulières pour s'assurer que le plan produit un effet systémique.
Clarté, cadre conceptuel et langage
Au cours des séances virtuelles, on a insisté sur l'importance du langage employé dans le futur plan d'action et son cadre conceptuel. Voici les points qui sont ressortis :
- Le plan doit mieux reconnaître le contexte historique et systémique élargi.
- Les participantes et participants ont critiqué l'emploi d'un cadre articulé autour du « déficit », comme si les communautés autochtones, noires et touchées par le racisme avaient besoin d'aide en raison d'une lacune inhérente. Ils ont plutôt recommandé de formuler le plan d'action de manière à éliminer les obstacles, afin de parvenir à un système équitable où tous les chercheurs et chercheuses et les stagiaires auront accès aux mêmes possibilités.
- La définition des principaux termes ne devrait pas être donnée par le système raciste et colonial existant, mais plutôt par des personnes issues des communautés touchées par le racisme.
- Le plan d'action doit adopter une approche intersectionnelle.
- Des opinions divergentes sur la désignation des populations visées par le plan d'action ont été entendues, notamment la suggestion d'éviter des termes comme « autres », qui excluent les populations qui ne sont pas spécifiquement nommées, ainsi que la dichotomie « blancs contre racisés », car les personnes racisées constituent un groupe diversifié, ce que le terme « racisé » occulte. Et puisque les populations noires et autochtones affichent les pires résultats sur le plan de la santé, il faudrait qu'elles soient explicitement visées par le plan d'action.
- On doit préciser la portée et l'opérationnalisation du futur plan d'action, comme les principes de lutte antiracisme que les IRSC prévoient d'intégrer dans leurs activités et leurs objectifs prévus de recrutement, d'embauche et de maintien en poste des personnes autochtones, noires et issues de communautés touchées par le racisme.
- Il importe de ne pas confondre l'antidiscrimination et la décolonisation; le premier consiste à s'opposer au traitement injuste d'une personne en raison de son identité ou à le prévenir, tandis que le second consiste à remettre en question les structures hiérarchiques.
Priorités du plan d'action selon les participantes et participants
À la fin de chaque atelier, les personnes participantes ont été invitées à choisir les priorités de la version provisoire du plan d'action qui leur semblaient les plus prometteuses. Les activités ayant reçu le plus de votes sont les suivantes :
- Accroître la diversité ethnoraciale au sein de la gouvernance, des comités consultatifs scientifiques, de la direction et du personnel des IRSC.
- Examiner les politiques et les procédures de recrutement et de dotation des IRSC afin de repérer les obstacles et les possibilités d'intégration de la diversité, de l'inclusion et de la justice raciale (l'examen devrait être effectué par un organisme externe).
- Mettre en place des mécanismes de responsabilisation pour les cadres des IRSC, afin d'assurer un engagement manifeste en faveur de l'antiracisme, notamment à l'égard du recrutement, de l'embauche et du maintien en poste de personnes autochtones, noires et issues de communautés touchées par le racisme.
- Réserver des fonds, des bourses de recherche postdoctorale et des bourses d'études aux personnes autochtones, noires et touchées par le racisme.
- Créer des bourses pour les stagiaires autochtones, noirs et touchés par le racisme afin de favoriser la transition vers une recherche indépendante en début de carrière.
- Pondérer les mesures de résultats, en rééquilibrant par exemple les taux de réussite pour les candidates et candidats autochtones, noirs et issus de communautés touchées par le racisme.
- Allouer des fonds à des sujets de recherche liés au racisme et à la santé.
- Recueillir et communiquer des données démographiques désagrégées sur les personnes qui présentent des demandes de financement aux IRSC et celles qui les évaluent.
Autres priorités suggérées par les participantes et participants
Au cours des séances de discussion, les IRSC ont reçu plusieurs suggestions de priorités pour leur plan d'action. Bon nombre d'entre elles portaient sur les changements à apporter aux politiques, aux processus et aux pratiques d'évaluation par les pairs de l'organisme, par exemple :
- Élargir la définition de « début de carrière » pour les personnes issues de communautés touchées par le racisme.
- Augmenter la fréquence des appels de demandes afin d'accroître la flexibilité des programmes phares des IRSC pour tenir compte du fardeau supplémentaire subi par les chercheuses et chercheurs issus de communautés touchées par le racisme.
- Réserver une proportion du financement à des personnes qui présentent une demande pour la première fois ou qui n'ont pas d'antécédents de financement afin de court-circuiter l'autoreproduction systémique qui favorise les personnes ayant déjà reçu du financement et bénéficiant d'excellentes relations.
- Accorder des fonds pour la diminution de la charge d'enseignement, afin de donner la possibilité aux personnes de communautés touchées par le racisme de préparer des demandes de subvention, de se constituer des réseaux ou des équipes et de se porter volontaires pour l'évaluation par les pairs.
- Exiger que toutes les personnes candidates nommées dans une demande de subvention demeurent actives tout au long du processus de recherche et de dissémination, afin d'éviter la participation symbolique de personnes issues de communautés touchées par le racisme.
- Adopter un processus itératif d'évaluation pour les candidates et candidats issus de communautés touchées par le racisme, afin de fournir une rétroaction et un soutien pour améliorer les demandes.
- Accroître la transparence et la clarté des appels de demandes, notamment en ce qui concerne le type de financement offert, le calendrier et la présentation des demandes.
- Mettre à la disposition des personnes candidates les titres de compétences des évaluatrices et évaluateurs, afin de garantir que les demandes sont évaluées par des personnes possédant l'expertise appropriée.
Considérations pour la mise en œuvre
Plusieurs points liés à la mise en œuvre du plan ont été soulevés, lesquels se divisent en deux grandes catégories : faciliter le changement de culture et garantir l'efficacité des interventions sans créer de préjudices au sein des communautés.
Changement de culture
- Un plan s'impose pour répondre à la résistance aux interventions antiracistes des IRSC qui peut survenir tant au sein de l'organisme que dans le milieu universitaire en général.
- Il importe de normaliser, dans le système même, la participation des communautés autochtones, noires et touchées par le racisme, plutôt que de créer des systèmes, des processus ou des programmes distincts.
- Il faut remettre en question les préjugés épistémologiques du système et reconnaître la valeur des savoirs autochtones, des savoirs africains et des divers systèmes de connaissances.
- Les IRSC doivent adopter une approche ascendante qui privilégie la participation des communautés autochtones, noires et touchées par le racisme tout au long du processus de conception, d'élaboration et de mise en œuvre, afin de s'assurer que leurs voix sont au cœur du processus.
Interventions efficaces
- On s'interroge sur l'utilité d'une formation obligatoire comme intervention antiracisme; certaines personnes ont indiqué que la formation n'entraînerait pas de changement de culture, tandis que d'autres ont souligné l'importance d'une formation continue avec des occasions d'apprentissage expérientiel allant au-delà des cases à cocher ou des exercices ponctuels.
- Il importe d'établir un rôle de défenseur pour évaluer l'efficacité du plan d'action et veiller à l'implantation et au respect des mesures de responsabilisation.
- Il faut dresser un plan de maintien en poste et de durabilité pour le personnel des IRSC issu des communautés autochtones, noires et touchées par le racisme, en raison des obstacles et du stress inévitables pour ces personnes.
- Les IRSC doivent envisager les éventuelles conséquences non voulues des possibilités de financement ou des programmes distincts pour les communautés autochtones, noires et touchées par le racisme, par exemple, un accès limité aux voies de financement régulières et la délégitimation des trajectoires de recherche et de carrière des personnes non soutenues par les programmes de financement phares des IRSC.
- Il faut reconnaître la profonde méfiance à l'égard des processus d'appel et de plainte dans les communautés touchées par le racisme, attribuable à un système raciste qui décourage de porter plainte; pour favoriser l'efficacité de la réforme des processus d'appel et de plainte visant à éliminer les préjugés dans le système de financement des IRSC, l'organisme doit gagner la confiance des communautés.
- On entrevoit un contrecoup involontaire de la politique encourageant la diversité ethnoraciale des comités d'évaluation par les pairs; par exemple, étant donné le peu de chercheuses et chercheurs autochtones, noirs et issus de communautés touchées par le racisme, la politique qui empêche une personne d'être à la fois candidate et paire évaluatrice pour un même financement pourrait avoir un effet disproportionné sur l'accès au financement pour ces personnes.
Et ensuite?
Les IRSC tiennent à remercier les personnes ayant participé aux séances de consultation virtuelles d'avoir fait part de leurs précieux points de vue. L'organisme continue de faire la synthèse des données et des conclusions obtenues et consulte des partenaires et des membres des communautés concernées pour élaborer et mettre en œuvre son plan d'action contre le racisme.
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