Science ou science-fiction : la médecine peut-elle être personnalisée sans la prise en compte du sexe et du genre?
Contrairement aux soins de santé appartenant à l’approche réactive en « formule unique », la médecine personnalisée est proactive et adaptée en fonction de l’individu. Les chercheurs en santé et les cliniciens se tournent de plus en plus vers la médecine personnalisée pour prédire, prévenir et traiter les maladies d’une manière plus e cace. Cependant, dans notre empressement à créer une médecine plus précise, est-il possible que les influences du sexe et du genre aient été négligées?
Quels critères permettent de dire qu’une médecine est personnalisée?
Le modèle occidental qui est traditionnellement utilisé dans les soins de santé recommande des traitements qui ont été définis en fonction d’un patient « moyen ». Cette approche peut aboutir à de bons résultats chez plusieurs personnes, mais elle peut aussi montrer une e cacité limitée chez d’autres patients ou même être nocive dans certains cas.Note en bas de page 1 La médecine personnalisée est un domaine qui s’est développé rapidement et qui vise la prise en compte de caractéristiques personnelles – des facteurs de nature génétique, biologique ou associés au mode de vie – permettant de prévenir les maladies et de déterminer l’approche de traitement la plus efficace.Note en bas de page 2
Les domaines dans lesquels les approches personnalisées se sont révélées particulièrement prometteuses incluent les traitements de cancers, de maladies cardiovasculaires, neurodégénératives, psychiatriques, du diabète et de l’obésité, de l’arthrite, de la douleur et de la maladie d’Alzheimer. Dans tous ces domaines, on s’attend à ce que l’approche médicale personnalisée engendre de meilleurs résultats cliniques, et qu’elle contribue à une amélioration des traitements et à une réduction des effets indésirables associés aux médicaments.Note en bas de page 3
Qu’est-ce que la pharmacogénomique?
Dans le cadre de la médecine personnalisée, la pharmacogénomique est un domaine en émergence qui vise l’étude de l’influence des gènes sur la réponse d’une personne à des médicaments spécifiques. Un des buts de la pharmacogénomique est le développement de médicaments efficaces et sécuritaires, et de dosages ajustés en fonction des variantes génétiques des personnes traitées.Note en bas de page 4
Personnaliser en fonction du sexe et du genre?
Plusieurs recherches suggèrent que le sexe (la biologie) et le genre (les aspects socioculturels) sont des facteurs importants dans les cas d’effets indésirables liés à des médicaments,Note en bas de page 5 de maladies cardiovasculaires,Note en bas de page 6,Note en bas de page 7 auto-immunes,Note en bas de page 8 respiratoires,Note en bas de page 9 ainsi que pour le diabèteNote en bas de page 10 et la santé mentale.Note en bas de page 11 En effet, des recherches ont démontré que les réactions indésirables associées à des médicaments sont près de deux fois plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes.Note en bas de page 12,Note en bas de page 13,Note en bas de page 14 Cependant, plusieurs essais cliniques n’ont pas suffisamment tenu compte des différences associées au sexe et au genreNote en bas de page 15, ce qui implique que les chercheurs et les cliniciens se retrouvent avec significativement moins d’informations pour environ 50 % de la population.
Les particularités du coeur
Près de 40 % des Canadiens âgés de 18 à 79 ans présentent un taux de cholestérol sanguin élevé, et ce taux élevé constitue un facteur de risque majeur pour les maladies cardiovasculaires.Note en bas de page 16 Bien que le grand public ait comme perception que les maladies cardiaques affectent surtout les hommes, davantage de femmes que d’hommes décèderont d’une maladie du cœur ou d’un accident vasculaire cérébral.Note en bas de page 17 Des recherches ont montré que des différences liées au sexe, mais aussi au genre, influencent les facteurs de risque de maladies cardiovasculaires, ainsi que les comportements de recherche d’aide et les diagnostics.Note en bas de page 18
À l’Institut de Cardiologie de Montréal, la Dre Marie-Pierre Dubé s’efforce de sensibiliser la communauté de recherche en génétique sur l’importance d’intégrer les dimensions liées au sexe et au genre dans la médecine personnalisée et la pharmacogénomique, particulièrement dans le cadre des essais pharmaceutiques.
« Les données provenant des essais cliniques doivent être analysées séparément pour les hommes et les femmes, afin d'étudier les différences dans la réponse aux médicaments. »
Près de trois millions de Canadiens reçoivent sur prescription des médicaments visant à diminuer le taux de cholestérol sanguin, appelés « statines ».Note en bas de page 19 Étant donné que les dimensions liées au sexe et au genre ont souvent été négligées dans les essais cliniques initiaux, la Dre Dubé utilise les profils génétiques de dizaines de milliers de patients qui ont participé à des essais pharmaceutiques dans le domaine cardiovasculaire impliquant des statines, afin de déterminer si le sexe ou le genre influencent les réponses aux médicaments. La Dre Dubé estime que l’utilisation des statines pourrait ne pas être optimale chez près de 40 % des personnes consommant ces médicaments, soit parce que la dose prescrite est inappropriée, ou parce que les effets indésirables les amèneraient à cesser leur consommation. Elle soutient que le sexe et le genre jouent tous deux un rôle, étant donné que les hommes et les femmes métabolisent les médicaments différemment, et que le genre peut influencer comment les médicaments sont prescrits et utilisés.Note en bas de page 20,Note en bas de page 21
Dans un de ses projets en cours, la Dre Dubé développe un outil qui permettra aux cliniciens d’analyser si les statines causent l’augmentation des douleurs musculaires, un effet secondaire fréquemment rapporté chez les femmes. Elle espère que cet outil aidera les cliniciens à améliorer leur façon de prescrire des médicaments réduisant le cholestérol chez les femmes.Note en bas de page 22,Note en bas de page 23
Repérer les données manquantes
La Dre Dubé affirme que l’un des plus grands défis de la réévaluation des dimensions associées au sexe et au genre dans les données des essais cliniques provient du fait que seulement 30 % des participants prenant part aux essais cliniques sont des femmes.Note en bas de page 24 Ses études s’appuient sur de grands ensembles de données afin de dégager des résultats statistiquement significatifs; cependant, elle souligne qu’étant donné la faible proportion de femmes dans les essais cliniques, il lui est parfois encore difficile d’obtenir des résultats. « Il est nécessaire que les essais cliniques soient menés différemment, afin que les femmes soient plus intéressées à y participer », dit-elle. La Dre Dubé suggère que des approches de communication plus régulières, une plus grande rétroaction avec les participantes, ainsi que des techniques de recrutement alternatives pourraient bien constituer les premières étapes en vue de l’augmentation de la participation des femmes.
Conclusion
Les approches véritablement axées sur les soins de santé personnalisés doivent tenir compte à la fois des différences biologiques et socioculturelles, afin qu’il soit possible de déterminer comment les résultats associés aux maladies et aux médicaments peuvent différer entre les hommes, les femmes, les garçons, les filles et les personnes de divers genres.
Le recours à une optique de sexe et de genre dans la médecine personnalisée implique un potentiel pour l’émergence de nouvelles possibilités menant vers des interventions en matière de santé qui soient mieux ciblées et plus efficaces. Après tout, existe-t-il quelque chose de plus personnel que le sexe avec lequel nous naissons ou le genre auquel nous nous identifions?
Quelques mots sur la chercheure
La Dre Marie-Pierre Dubé est Directrice du Centre de pharmacogénomique Beaulieu-Saucier à l’Institut de Cardiologie de Montréal et professeure en pharmacogénomique et en épidémiologie génétique à l’Université de Montréal. Ses études sont financées par les IRSC. Dre Dubé a réalisé plusieurs études en pharmacogénomique dans le cadre d’essais cliniques liés aux maladies cardiovasculaires.
- Date de modification :