Question de méthodes : Questions pour orienter les analyses intersectionnelles quantitatives
Numéro 3, Partie 2 - Octobre 2021
Greta Bauer, Ph. D., est professeure d’épidémiologie et de biostatistique à l’université Western et titulaire d’une Chaire en science du sexe et du genre des IRSC. Cette chaire a pour but de déterminer les méthodes statistiques utilisées en recherche intersectionnelle; d’évaluer dans quelle mesure ces méthodes sont adaptées à l’intersectionnalité; et d’établir des pratiques exemplaires pour l’application de ces méthodes aux données sur la santé. Dans la seconde partie de ce numéro, nous avons parlé avec Greta Bauer des approches intersectionnelles pour l’analyse des données quantitatives de recherche en santé. Les pratiques exemplaires dans ce domaine sont toujours à l’étude; jetez un coup d’œil à l'examen systématique (en anglais seulement) de Greta Bauer sur le sujet! C’est pourquoi cette fiche sera mise à jour régulièrement en fonction de l’évolution des connaissances. Pour en savoir plus sur l’intersectionnalité, la conception d’études intersectionnelles quantitatives et la collecte de données primaires, consultez la partie 1 de ce numéro.
Qu’est-ce qui rend une analyse intersectionnelle?
Les méthodes d’analyse intersectionnelle permettent que chaque intersection pertinente pour une étude produise ses propres résultats et effets. Par exemple, si les résultats de santé des femmes noires vous intéressent, ces résultats devraient être tirés directement de l’analyse, au lieu d’être déduits par la somme ou la multiplication des résultats moyens des personnes noires et des femmes. Cette dernière approche présume que le fait d’être une personne noire et le fait d’être une femme ont des effets indépendants. Cette présomption n’est pas intersectionnelle. Dans un cadre intersectionnel, on présume que les effets de différentes identités ou positions sociales peuvent être étroitement reliés et interdépendants.
Si les processus d’oppression, de discrimination, de pouvoir ou de privilège ou encore les facteurs structurels comme les politiques sont pertinents pour l’étude, on devrait alors permettre à ces variables d’avoir différents effets à différentes intersections. Par exemple, les effets du capacitisme sur la santé peuvent s’avérer différents pour les personnes handicapées et racisées, les personnes handicapées et ayant diverses identités de genre, et les personnes possédant ces trois caractéristiques.
Les méthodes d’analyse statistique ne sont pas forcément intersectionnelles; ce ne sont que des outils. Les membres de la communauté de la recherche qui souhaitent adopter une approche intersectionnelle devraient intégrer un cadre intersectionnel à toutes les étapes du processus de recherche. En savoir plusNote en bas de page 1.
Quelles questions devraient se poser les scientifiques lors de la conception d’un plan d’analyse intersectionnelle quantitative?
Les pratiques exemplaires d’analyse intersectionnelle quantitative font toujours l’objet de débat. La meilleure approche d’analyse dépendra des données utilisées, des intersections étudiées et de la question de recherche. Voici quelques questions pouvant vous guider dans la préparation de votre processus d’analyse :
- 1. Votre analyse est-elle descriptive ou analytique?
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Les analyses descriptives permettent de décrire et de caractériser les iniquités à travers différentes intersections. Cette approche est importante pour mettre en lumière des expériences vécues à des intersections (incluant celles qui sont rarement étudiées), pour détecter des iniquités et pour formuler des hypothèses. Pour l’exemple le plus simple, les données pourraient être résumées et illustrées graphiquement à chaque intersection; cette méthode porte le nom de classification croisée.
Les analyses analytiques peuvent servir à explorer des processus causaux ou des contextes structurels soupçonnés de générer des iniquités, ce qui permet de cerner les politiques et les pratiques sur lesquelles on peut intervenir. Par exemple, dans l’analyse d’interactionNote en bas de page 2 (aussi appelée modification de la mesure de l’effet), les intersections sociales peuvent modifier la relation entre les variables reliées au processus et les résultats qu’elles peuvent produire.
L’analyse d’interaction peut être combinée avec l’analyse de médiationNote en bas de page 3 pour permettre à la variable médiatrice d’avoir des effets différents à chaque intersection, en raison des différents niveaux du médiateur et des différents effets du médiateur sur le résultat à chaque intersection. Cette méthode est aussi appelée « décomposition de la médiation intersectionnelle ». Apprenez-en davantage sur les logiciels statistiques (en anglais seulement)Note en bas de page 4 pouvant être utilisés pour la décomposition de la médiation intersectionnelle.
Conseil: Dans les premiers travaux théoriques sur l’intersectionnalité, le langage mathématique était utilisé au sens figuré. Par exemple, les effets cumulatifs des identités et des positions sociales entrecroisées ont été décrits comme « multiplicatifs ». Pour les personnes familières avec la terminologie mathématique, il est important de noter que les analyses statistiques intersectionnelles ne sont pas multiplicatives au sens mathématique du terme. En fait, les échelles additives – comme celles obtenues par régression linéaire – sont les mieux adaptées pour mener des analyses intersectionnelles. En savoir plus (en anglais seulement)Note en bas de page 2.
- 2. Sur quoi votre question de recherche est-elle axée, et quels sont les rôles joués par les identités, les positions sociales et les processus sociaux?
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Si votre analyse est de type analytique, déterminez quels sont les facteurs modifiables ou sur lesquels vous pouvez intervenir dans votre analyse. En général, les identités et les positions sociales ne peuvent pas être modifiées pour améliorer la santé, mais on peut intervenir sur les processus sociaux et les facteurs structurels. Ces facteurs doivent être analysés et modélisés pour guider les interventions.
- 3. Combien d’intersections seront examinées?
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La classification croisée, la régression et toutes les approches intersectionnelles analytiques fonctionnent mieux avec un nombre limité d’intersections (c. à d. moins d’une douzaine). Les arbres décisionnels (qui segmentent automatiquement les données à l’aide de techniques d’apprentissage machineNote en bas de page 5) et la modélisation multiniveau avec des données individuelles peuvent traiter des données hautement multidimensionnelles, pour lesquelles les intersections peuvent se compter par centaines. Apprenez-en davantage sur les différences entre les méthodes quantitatives (en anglais seulement)Note en bas de page 6 et la modélisation multiniveau (en anglais seulement)Note en bas de page 7.
- 4. Avez-vous des données imbriquées, multiniveaux?
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Si par exemple vous utilisez des données recueillies au niveau des écoles, des municipalités ou des quartiers, ou encore des données à mesures répétées intra-sujet, vous opterez de préférence pour des méthodes multiniveaux.
- 5. Est-il important de produire des estimations de précision, comme des intervalles de confiance?
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Par exemple, la régression et la classification croisée produisent des estimations du niveau de la précision de vos résultats, ce que ne permettent pas les techniques d’apprentissage machineNote en bas de page 6. Disposer d’estimations de précision peut être spécialement important lors de l’étude de petites intersections, dont les estimations des résultats et des effets sont parfois imprécises.
- 6. Considérez-vous important de faire état de l’hétérogénéité au sein d’une même intersection?
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Si une seule mesure centrale est produite pour chaque intersection, cela risque de donner une fausse idée du niveau de similarité entre les personnes situées à cette intersection, et de mener à la surinterprétation des effets moyens. Cette approche risque d’associer une stigmatisation liée à la santé ou à la maladie aux personnes situées à cette intersection, ou de conduire à des stratégies d’intervention peu judicieuses. Songez à documenter l’hétérogénéité au sein d’une même intersection et à en faire rapport.
Les opinions exprimées dans ce document sont celles de Greta Bauer et ne reflètent pas nécessairement celles de l’Institut de la santé des femmes et des hommes des IRSC ou du gouvernement du Canada.
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