Les antibiotiques peuvent sauver des vies, mais comportent leur part de défis

Une nouvelle étude de l’hôpital Sunnybrook évalue les effets de l’utilisation accrue d’antibiotiques dans les soins intensifs

En bref

L’enjeu

La résistance aux antibiotiques est un danger que tous les professionnels de la santé s’efforcent d’atténuer, mais les médecins doivent tenir compte des avantages et des inconvénients de la prescription d’antibiotiques aux patients en soins intensifs.

La recherche

Dans le cadre d’une vaste étude menée en Australie et au Canada, l’équipe de recherche cherche à savoir si les professionnels de la santé pourraient accroître l’utilisation des antibiotiques sans exacerber la résistance aux antibiotiques.

Les retombées

Cette étude a le potentiel de réduire le taux de mortalité de 4 % dans l’essai canadien.

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À l’échelle mondiale, on estime que 1,25 million de décès en 2019 ont été causés par des infections bactériennes résistantes aux antimicrobiens. En 2018, on estime que la résistance aux antimicrobiens a causé 5 400 décès au Canada. L’inquiétude justifiée concernant les bactéries résistantes aux antibiotiques est passée de l’hôpital au public, les nouvelles sur la résistance aux antibiotiques faisant fréquemment la une des journaux. Il s’agit donc d’un danger que tous les professionnels de la santé tentent d’atténuer.

Le Dr Brian Cuthbertson, de l’hôpital Sunnybrook, reconnaît que les antibiotiques font l’objet de nombreux mauvais usages. Et bien que la résistance aux antibiotiques soit une menace qui entraîne une augmentation de la maladie, de la souffrance et de la mort, il exhorte les médecins de soins intensifs à prendre en compte les avantages et les inconvénients de la prescription d’antibiotiques aux patients les plus malades de l’hôpital.

Le début d’un parcours de remise en cause des préjugés

Dr Brian Cuthbertson

Le parcours du Dr Cuthbertson dans le domaine de l’utilisation des antibiotiques dans l’aile des soins intensifs a commencé en 2008 après la lecture d’une analyse de la littérature et des données probantes effectuée par des chercheurs néerlandais qui s’est avérée controversée. L’article suggérait que les antibiotiques sauvaient des vies en soins intensifs. Cette solution semble évidente, mais allait à l’encontre de l’enseignement médical véhiculé depuis des décennies.

« L’article a suscité une vive controverse, car l’enseignement classique est d’utiliser les antibiotiques avec parcimonie. C’est un message tellement classique que les gens n’utilisent peut-être pas assez d’antibiotiques chez les patients gravement malades », explique le Dr Cuthbertson. Il nous rappelle que les antibiotiques peuvent sauver des vies en empêchant les patients gravement malades de contracter des infections lors de leur séjour à l’hôpital.

Avant d’entreprendre cette étude financée par les IRSC, le Dr Cuthbertson et quelques collègues se sont associés à un psychologue pour étudier la raison pour laquelle les médecins de soins intensifs sont trop prudents dans l’utilisation des antibiotiques. Ils ont constaté que les médecins avaient des convictions bien ancrées sur l’utilisation de ces traitements, et ils ont donc commencé à réfléchir à des moyens de modifier ces préjugés.

« En tant que clinicien, tu te dis : ‘Attends un peu, pourquoi cette base de données probantes ne cesse-t-elle de s’accumuler sans que personne ne la suive? Tu te tournes vers tes collègues et vous vous demandez pourquoi faisons-nous cela, pourquoi ne faisons-nous pas ceci? », questionne le Dr Cuthbertson.

Une vaste étude susceptible de sauver de nombreuses vies

Pour contrer ces préjugés bien ancrés, le Dr Cuthbertson savait qu’il lui fallait un essai de grande envergure, suffisamment important pour détourner les critiques. Son équipe a recruté 13 000 patients en soins intensifs au Canada et en Australie pour vérifier si les professionnels de la santé pouvaient augmenter l’utilisation des antibiotiques sans pour autant exacerber la résistance aux antibiotiques. L’essai s’est récemment terminé en Australie et se terminera à l’été 2023 au Canada, les résultats étant attendus pour la fin de l’année 2023.

Selon le Dr Cuthbertson, cette recherche a le potentiel de sauver beaucoup de vies. Il prévoit une réduction de 4 % du taux de mortalité dans l’essai canadien, ce qui permettrait de sauver 20 000 vies par année. Il doit toutefois attendre la fin de l’essai pour voir ce qui aura été réalisé.

Pour qu’il puisse lutter contre ses propres préjugés, le Dr Cuthbertson ne connaît pas les résultats préliminaires de son propre essai, mais un comité indépendant de surveillance des données lui a donné le feu vert pour continuer.

« Ce feu vert pourrait signifier qu’il y a un petit avantage ou un grand avantage, mais il pourrait également signifier qu’il n’y a pas de grand danger et que c’est sécuritaire pour nos patients », dit-il. « Nous ne voulons pas connaître les résultats à ce stade... c’est une bonne pratique d’essai ».

À la recherche de résultats pouvant avoir un impact sur la santé des Canadiens

L’équipe australienne publiera ses travaux en premier, mais même si ses recherches donnent des résultats positifs, le cas est différent au Canada. Les types d’infections contractées dans les hôpitaux varient dans le monde entier, alors l’étude canadienne pourrait donner des résultats différents. Ce que le Dr Cuthbertson veut, c’est « obtenir un résultat qui ait un impact sur la santé des Canadiens. »

« Je ne veux pas donner des antibiotiques aux Canadiens si cela n’aide pas le patient à qui je les donne et nuit potentiellement à d’autres patients en favorisant la résistance aux antibiotiques », explique le Dr Cuthbertson. « En tant que médecin, j’aimerais démontrer les avantages pour mes patients, mais en tant que scientifique, je veux connaître la vérité. »

Le Dr Cuthbertson sait qu’il a une bataille difficile à mener. Les médecins de soins intensifs ne vont pas adopter rapidement une utilisation accrue des antibiotiques. Beaucoup de ceux qui connaissent les recherches du Dr Cuthbertson – et même certains qui y participent – sont ouvertement sceptiques. Ses conclusions pourraient avoir à modifier les préjugés et les pratiques non seulement des médecins de soins intensifs, mais aussi des infirmières, des microbiologistes médicaux, des spécialistes des maladies infectieuses et d’autres personnes. Il s’agit d’une approche collective, mais il espère que son étude sera celle qui fera évoluer la pratique médicale.

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